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La retraite de trois ans et trois quinzaines
La durée de la retraite
L'année avant sa mort, le Bouddha Shakyamouni enseigna Le
Kalachakra Tantra, Tantra de la Roue du Temps, réputé
pour représenter l'essence de ses instructions. Dans ce
tantra, le Bouddha décrit le rapport entre l'univers, le temps
et le corps. Cet enseignement explique pourquoi la durée
optimale d'une retraite de méditation est de trois ans et
trois quinzaines.
En résumé, après la naissance, notre rapport
le plus fondamental avec le monde extérieur passe par le
souffle. Nous respirons : nous vivons. De plus, selon Le
Kalachakra Tantra, notre respiration est naturellement liée
à l'univers et au temps. Dans L'Encyclopédie du
Bouddhisme, Djamgoeun Kongtrul affirme :
« Au niveau extérieur, il y a 21.600 "tchou tseu"*
dans une année lunaire (360 jours) ; au niveau
intérieur, nous respirons le même nombre de fois chaque
jour. » (Volume 2, p. 639)
L'air que nous respirons entre dans notre corps et soutient la
force vitale que nous partageons avec tous les êtres,
appelé énergie karmique. D'après le point de vue
tantrique, une petite partie du souffle soutient également
notre potentiel spirituel, appelé énergie de sagesse.
Djamgoeun Kongtrul explique :
« Un trente-deuxième de chaque respiration est
énergie de sagesse... sa nature est l'esprit d'éveil
indestructible. » (ibid., pp. 639-40.
Ce trente-deuxième d'une respiration qui soutient notre
potentiel spirituel est, par définition, sans grande
importance dans la vie de chaque jour. Son influence est
limitée lorsque c'est "la vie mondaine", ou énergie
karmique, qui prime, ce qui est généralement le cas. Le
temps passé en retraite de méditation réduit
considérablement la puissance de l'énergie karmique.
Idéalement, le travail, les motivations, les émotions,
les habitudes et styles de vie qui nous dominent dans le monde sont
laissés au dehors de la retraite pour que puisse se
développer librement l'énergie de sagesse -
l'expérience de la quiétude, la béatitude et la
clarté naturelles et spacieuses de l'esprit. Ainsi, à
chaque respiration, la part qui soutient l'énergie karmique
s'amenuise au profit de l'énergie de sagesse. L'aboutissement
de ce processus est l'éveil, la transformation totale
d'énergie karmique en énergie de sagesse.
D'après le Bouddhisme tantrique, l'espérance de vie
d'un être humain à notre époque est de cent ans.
C'est-à-dire que notre corps peut en principe subsister tout
ce temps. Les trente-deuxièmes de chaque respiration qui sont
énergie de sagesse, accumulés durant une telle
période, équivalent aux respirations prises pendant
trois ans et trois quinzaines de jours. On dit que c'est le temps
minimum requis pour transformer entièrement l'énergie
karmique en énergie de sagesse, pour atteindre le parfait
éveil. Le symbole de cet état
est l'aspect du Bouddha appelé Dordjé Tchang (Sct.
Vajradhara), ou
Détenteur du Vajra. Comme le dit Djamgoeun Kongtrul :
« Toute l'énergie de sagesse qui circule (avec le
souffle) pendant cent ans équivaut à trois ans et trois
quinzaines. Lorsque toute l'énergie karmique est
transformée en énergie de sagesse, on atteint
l'éveil. Voilà pourquoi l'on dit que l'état de
bouddha Dordjé Tchang est atteint (grâce à la
pratique de la méditation pendant une période de) trois
ans et trois quinzaines. » (ibid. Vol. 2, p. 640)
Les retraites telles que celle décrite dans ce manuel sont
souvent appelées en Occident "retraites de trois ans et trois
mois". Si on n'emploie pas le mot "quinzaine", c'est peut être
parce qu'il est peu usité dans la langue moderne, ou bien
parce que la traduction n'est pas tout à fait juste. Le mot
tibétain pour "quinzaine" veut dire précisément
une demi lunaison - de la pleine lune à la nouvelle ou vice
versa.
* C'est l'unité horaire au Tibet. Une journée
contient 60 tchou tseu.
L'évolution du centre de retraite de
Djamgoeun Kongtrul
Kalou Rinpotché a relaté la version suivante de
l'élan initial qui a poussé Djamgoeun Kongtrul à
fonder un centre de méditation, traduite ici par Lama Droubgyu
Tenzin du Canada :
« Une fois, Djamgoeun Kongtrul le Grand, qui était
déjà un lama important au monastère de Pelpoung,
avait entrepris une retraite absolument fermée. Au cours de
cette retraite, il apprit que le détenteur principal de la
lignée Changpa,
Lama Norbou Shenpen Euzer, allait visiter Pelpoung. Djamgoeun
Kongtrul avait déjà une bonne connaissance de la
tradition Changpa et éprouva un respect profond envers ces
enseignements. Il avait aussi entendu dire que Lama Norbou
était un individu extraordinaire. Il sentait que recevoir la
transmission directement du véritable détenteur de la
lignée était une occasion si prodigieusement rare,
qu'il décida de rompre sa retraite afin de rencontrer cet
homme.
Ayant appris l'arrivée de Lama Norbou, Djamgoeun Kongtrul
sortit de sa retraite et chemina jusqu'aux appartements du visiteur
afin de lui rendre hommage et de solliciter cette transmission.
Djamgoeun Kongtrul pénétra dans la chambre de Lama
Norbou, mais personne ne lui prêta la moindre attention. Il
avait beau être un des lamas principaux du monastère,
c'était comme s'il n'existait pas ! Djamgoeun Kongtrul fut
accablé de constater que personne ne semblait remarquer sa
présence, du début à la fin de sa visite.
Fortement ébranlé par cet événement,
Djamgoeun Kongtrul retourna chez lui - il réfléchissait
sur son infortune, se demandant quelles mauvaises actions il avait
dû commettre dans le passé pour avoir brisé ainsi
son lien avec la tradition Changpa et le détenteur de la
lignée. A aucun moment n'a-t-il critiqué Lama Norbou
dans ses pensées ; au contraire, il cherchait encore et encore
ses propres défauts. Il en était tellement
troublé qu'il passa une nuit blanche à revoir tous ses
points faibles, à se confesser, se purifier et réciter
le mantra de Dordjé Sempa.
Au point du jour, Djamgoeun Kongtrul eut une idée.
Peut-être qu'en proposant d'établir un centre de
retraite entièrement voué à la transmission des
enseignements de la lignée Changpa, il arriverait à
expier ses fautes, et à établir une connexion
personnelle fructueuse avec ces enseignements ! Plus il y pensait,
plus il était convaincu que son idée était
opportune.
En début de matinée, donc, Djamgoeun Kongtrul
retourna vers les appartements de Lama Norbou, absorbé par ce
projet. Il pénétra dans la pièce, mais avant
qu'il n'ait pu dire un mot, Lama Norbou s'adressa à lui,
disant : « Quelle excellente idée ! Là, je n'ai
pas le temps de te donner toutes les transmissions, mais il faut
mettre le projet en route. Je reviendrai dès que possible te
conférer la transmission complète du cycle
d'enseignements Changpa. »
Bien que cette histoire ne figure pas dans l'Autobiographie
de Djamgoeun Kongtrul, il dit avoir rencontré ce
maître la première fois en 1840, à l'âge de
vingt-sept ans. A cette occasion peu d'instructions lui furent
données. Il reçut la transmission complète de la
lignée d'instruction Changpa Kagyu de Lama Norbou en 1843.
Le Manuel de Retraite
Introduction de Djamgoeun Kongtrul
Au cours de vos vies passées vous avez accumulé
beaucoup de mérite et vous avez su diriger vos actions avec
une aspiration pure. Par la force de celle-ci, vous avez obtenu
quelque chose de plus précieux encore que le joyau qui exauce
tous les souhaits : votre vie actuelle, libre et bien pourvue - la
meilleure vie qui soit. Vous avez pu rencontrer le coeur intime de
l'enseignement du Bouddha, le Vajrayana du Mantra Secret. Vous pouvez
vous en remettre au guide spirituel de votre choix, au
détenteur de la lignée pleinement qualifié.
Toutes les conditions favorables à la pratique des
instructions pour le développement spirituel sont
réunies (dans votre vie) et vous avez la possibilité de
vous adonner au coeur de cette pratique. (Cette bonne fortune) peut
vous sembler incroyable - comme un mendiant qui rêverait de
trouver un joyau qui exauce tous les souhaits - et pourtant il en est
bien ainsi : vous l'avez entre vos mains !
Ceci dit, dans votre for intérieur, vous avez
peut-être simplement envie de devenir un lama, et vous vous
contenteriez de pouvoir rester trois ans et trois quinzaines dans le
centre de retraite. Mais sans une aspiration et une conduite
parfaitement pures, et sans une pratique méditative
adéquate, (vous ne ferez que) tromper la bonté des
bienfaiteurs qui subviennent à vos besoins et le pratiquant
(que vous êtes) n'aura pas su donner son sens véritable
à sa vie. C'est pourquoi vous devez impérativement
préparer une fondation sans faille (pour votre pratique).
Tous ceux qui demeurent en retraite ici doivent avoir comme base
la confiance en les trois disciplines, et avoir étudié
et réfléchi un peu sur les soutras et les tantras du
Bouddha au cours d'une retraite des pluies. Plus
particulièrement, devraient être admis en retraite ceux
dont l'aspiration principale dans la pratique est (d'assurer les
circonstances favorables) pour les vies futures et l'accomplissement
de l'activité d'éveil libératrice. Un manque
d'intérêt ou de discernement à ce propos ne
pourra aboutir qu'au gaspillage du soutien matériel (venant
des bienfaiteurs). Avant d'entrer en retraite, il convient donc
d'avoir mûrement réfléchi.
Pour s'engager dans la retraite, il faut d'abord une bonne
fondation : votre intention irréversible (de méditer
avec enthousiasme). Ensuite, pendant votre retraite, vous devez
réjouir autrui par votre mise en pratique de la vue, la
méditation et la conduite de la pratique bouddhique. Enfin,
vous devez faire en sorte que le résultat de votre pratique ne
se perde pas. Voilà l'objet principal des règles de
discipline (que nous allons décrire).
La Vie en retraite
La description de l'entraînement à
la méditation en retraite comprend cinq parties :
1. Les pratiques méditatives
spécifiques entreprises pendant les trois années et
trois quinzaines,
2. Les quatre sessions de méditation quotidiennes,
3. Les rituels supplémentaires à pratiquer tous les
mois ou tous les ans*,
4. Les méditations et récitations propres au lama
du temple des protecteurs,
5. La description générale des règles de
discipline et de conduite.