La Pratique de Tong Lèn |
Extrait n°6 du cycle Mandala Yoga de Lama Shérab Namdreul
Transcription Fabienne Lenoble
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1) Préalable à Tong Lèn
La méditation du Tathagatagarbha permet de nous ouvrir et de reconnaître la Bonté fondamentale (sct. Maitri) de notre être. Elle n’est pas le fait de sa personnalité. Elle ne s’acquiert ni ne se perd avec le temps. Elle n’est pas surajoutée à notre esprit par un apport extérieur. Elle n’est pas distribuée ni retirée par une quelconque décision de « justice divine ». Elle est, par essence, naturelle à l’esprit même. Par conséquent, cette nature de Tathagata est en chaque être sans exception. Ce sentiment d’universalité est un facteur important pour commencer la pratique de Tong Lèn. La méditation du Tathagatagarbha amène une expérience de la nature de notre intériorité, une expérience d’inhérence à notre être, qui entraîne de l’empathie dans notre rapport à l’autre.
Si on considère la défectuosité du samsara, on ne peut pas lui opposer le sens de nos désirs, de nos espoirs et de nos rêves, car ce sens même est vain. La seule perspective du Tathagata comme fondement de notre nature spirituelle apporte un véritable sens à l’existence. Un sens capable de remédier à la vanité de l’existence conditionnée.
L’entrée dans le chemin du mahayana ne consiste pas simplement à adhérer à une idée philosophique de la bouddhéité. Il s’agit de l’éprouver en son propre cœur. Cette expérience n’est certes pas le parfait accomplissement de l’état de bouddha mais elle scelle en notre continuum la marque indéfectible de la Bodhicitta nécessaire à son parfait accomplissement. S’ouvrir à notre potentiel de bouddha est le fondement d’un engagement sur le chemin du Bodhisattva et la pratique de Tong Lèn en est son application. Une fois notre potentiel du cœur ouvert, on obtient la base indispensable pour atteindre le parfait état de Bouddha, et cette base doit être mise à contribution.
L’expérience du Tathagatagarbha peut être comparée à la réussite d’un examen qui confirme les compétences d’un étudiant. Maintenant, cet étudiant doit tendre à une activité, voire une vocation professionnelle. Il ne va pas rester à l’école toute sa vie et continuer d’habiter chez papa et maman. Mais avant de pouvoir assumer pleinement une activité professionnelle, cela demande des stages pratiques en entreprises. Pour le candidat Bodhisattva c’est un peu çà. Il y a d’abord une bodhicitta d’aspiration, disons de « bonne volonté » puis, une Bodhicitta de résolution, c'est-à-dire de « ferme nécessité » ensuite, une Bodhicitta d’application, on va dire de « mise en œuvre » et enfin une Bodhicitta d’activité aboutie qui œuvre pleinement au bien des êtres. Mais contrairement au monde du travail, le Bodhisattva ne prend pas de retraite!
Cependant, dans la mise en œuvre de notre bonne volonté, - et on est tous plein de bonne volonté- il ne s’agit pas de mettre la charrue avant les bœufs. Dans la voie du Bodhisattva, le risque est d’adopter la démarche « boy scout ». On se destine à sauver le monde en décidant de ce qui est bon pour l’autre. C’est le syndrome du zélateur. Comme on dit « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Milarépa nous prévient de ne pas s’illusionner des vœux du Mahayana. Il ne s’agit pas de les mettre en cause ni de les rejeter. Tout engagement comporte certaines embûches pour ne pas dire dangers. La vigilance et l’analyse sont constamment nécessaires. S’engager sur une voie spirituelle, mais finalement comme dans la vie elle-même, c’est un peu comme surfer sur le net. C’est un espace fabuleux qui comporte ses dangers : les virus. Les risques ne doivent pas nous arrêter. Quand on surfe sur le net, on prend des précautions. On fait des sauvegardes régulières du disque dur et on installe un antivirus avec une mise à jour automatique. En plus il y en a des gratuits!
C’est comme la vigilance et l’analyse, c’est gratuit. Par contre, les mises à jour, les remises en questions ne sont pas particulièrement automatiques. Comme l’étudiant, nous avons besoin de stages en entreprise. Nous avons besoin d’un terrain d’entraînement pour mettre en œuvre nos aspirations. Ce terrain d’entraînement c’est la méditation. La méditation est une sorte de laboratoire d’observation qui permet de mettre en œuvre des qualités comme l’attention, la stabilité, la vigilance, puis viendront des expériences et des intégrations. Ces intégrations passent souvent inaperçues à l’esprit. Ce n’est pas particulièrement spectaculaire ou extraordinaire. Cela se fait à dose homéopathique, par dilution infinitésimale. Par contre, on peut s’apercevoir dans notre quotidien de changements dans notre conduite. Nos perceptions et nos réactions aux situations évoluent. L’attitude de nos proches change sensiblement à notre égard. Quand on s’engage dans une voie spirituelle il est important d’être à l’écoute de nos proches, le conjoint, les enfants, les amis. Ils vont devenir notre alarme, notre antivirus, notre antispam et notre rappel de mise à jours. Si on entend nos enfants nous lancer « lâche-nous un peu avec TON bouddhisme » ou que notre conjoint nous sorte « va le retrouver TON gourou » cela peut être révélateur. Il faut savoir l’entendre et vérifier notre façon de s’investir dans le chemin spirituel. Nagarjuna dit « la vue juste commence par l’écoute de l’autre ».
Avant de tout vouloir changer dans notre quotidien, il est donc important d’opérer au stade de la méditation. Et pour ce qui est de la mise en pratique au jour au jour, il s'agit de rester naturel et simple avec une éthique élémentaire, comme la grande majorité des personnes que l’on côtoie chaque jour.
2) La méditation de Tong Lèn
a) La visualisation
a.1. Prendre la souffrance
a.2. Donner le bonheur
b) Commentaires
b.1. Dissoudre l'attachement à l'égocentrisme
b.2. La notion des êtres
La méditation de Tong Lèn commence par l'évocation de l'ensemble des êtres du samsara, sans exception. Tous les êtres de tous les univers et de toutes les sphères d’expériences. Ne cherchez pas à vous représenter tous les êtres devant vous assis comme ça, les uns à côtés des autres et, comme pour prendre une photo, d’essayer de les faire rentrer tous dans le cadre de votre conception. Ce n’est pas possible. L'ensemble des êtres est une notion de l’esprit. Nous savons déjà de quoi retourne cette notion d’être sans représentation formelle. Nous avons tous ressenti une notion d’humanité en regardant par exemple le journal télévisé qui nous montre des catastrophes écologiques ou les élans de solidarité dont les hommes sont capables. Ce n’est pas plus compliqué. Voyez comme l’humanité toute entière peut rentrer dans notre esprit. De plus, on ressent une profonde sincérité inconditionnelle, n'est-ce pas ?
Imaginons les êtres qui n’ont pas même l’idée de ce potentiel inné de bonheur qui est en chacun de nous et qui le cherchent désespérément en pensant qu’il est le résultat d’une réunion de conditions et de circonstances extérieures. Ils investissent tant d’énergie à mettre en place ces circonstances! Imaginez les êtres qui sont dans l’impuissance, ne serait-ce qu’envisager le bonheur. Ceux qui se méprisent eux-mêmes. Ceux qui font reproche au monde entier ou à Dieu ou à Bouddha. Tous les êtres qui méprisent, jugent, châtient d’autres êtres pour la simple raison qu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent. Le samsara est un brouhaha d’êtres en procès : procès d’intention, procès d’estimation, procès de dédommagement, de responsabilité, de favoritisme, de justification, de déception... Et tout part d’un même malentendu.
Ouvrons notre cœur à la réalité de l’existence.
En vertu de la succession de vies depuis des temps sans commencement, il n’est pas un être qui ne fut pas notre mère ou notre père semblable à nos parents de cette vie. Tous les êtres nous ont prodigué des soins et de la tendresse, nous ont protégé, nous ont soulagé de la souffrance comme l’ont fait nos parents de cette vie. Par reconnaissance et gratitude, nous souhaitons leur retourner la bonté, les savoir heureux et sans l’ombre d’un malheur.
Traditionnellement, on évoque l’image de la mère ou encore des parents mais si ça pose problème, on peut partir de l’image du grand frère ou de l’ami, quelqu’un pour qui on se sentirait capable de donner sa vie si cela devenait nécessaire à son bonheur. Quand on a développé un sentiment de bonté, on cherche à le transposer progressivement envers les êtres qui nous sont proches, les gens qui habitent la même maison, notre famille, puis on étend au voisinage, à la région, au pays et on peut décliner comme ça à l’infini jusqu’à s’établir dans cette notion générique de tous les êtres sans exception.
Une autre façon de procéder est de commencer par les gens qu’on aime, qui nous sont agréables. Puis, les gens qu’on n’aime pas, qui nous irritent, qui nous sont désagréables quelles qu'en soient les raisons. Et enfin, les gens neutres, qui ne sont ni agréables ni désagréables, ceux qui nous sont indifférents, inconnus, les gens dont on ignore même l'existence.
Cette notion des êtres sans nombre est importante pour s’établir dans une démarche inconditionnelle. On peut faire une session entière uniquement là-dessus. On procède par étape jusqu'à établir la totalité des êtres, sans exception, sans exclusion. Restez naturel. Ne vous racontez pas d’histoire. Ne rentrez dans l’émotionnel et l’affect. Ne prenez pas l’attitude du missionnaire. Pour gardez la sobriété, revenez-en à la respiration si nécessaire.
b.3. Le recyclage de la souffrance
Une fois cette notion des êtres amenée à l'esprit, vient une inspiration. Cette inspiration va être assimilée, associée à une luminosité sombre, noire, sale comme de la suie que l’on se représente à l’esprit. Cette lumière sombre ou noire évoque la souffrance des êtres. Tout le temps de l’inspiration, nous allons nous laisser pénétrer de cette lumière chargée de la souffrance des êtres.
Les êtres souffrent un continuel combat à la recherche de satisfaction et dans la tentative d’éviter l’insatisfaction. Au moindre désagrément nous rejetons. Au moindre agrément nous saisissons. Malheureusement nous nous battons contre des moulins à vent et nous ne poursuivons que des chimères, des images.
L’image de soi, de son corps, l’image de sa réputation, l’image de l’autre, l’image de perfection, l’image de pureté ou d’impureté… Toutes les images que produit l’esprit ne sont pas reconnues comme telles. Nous les tenons pour réelles, nous en faisons une conception objective. La cause fondamentale est la saisie en les cinq agrégats d’attachement. Cette saisie est la raison et la condition qui fait qu’il y a souffrance (sct. Doukha).
Le temps d’une inspiration, nous restons totalement ouvert pour que toutes les souffrances qu’éprouvent les êtres pénètrent par la narine droite sous la forme d’une lumière sombre. On accueille tout ce dont les êtres ne veulent pas, leurs poubelles en quelque sorte. On assume ces poubelles. Nous faisons office de déchèterie. Mais attention ! On se désigne déchèterie mais il ne faut pas non plus jouer le martyre, la victime ou encore la Cosette ! On prend en charge la conception de la négativité qu’ont les êtres, on ne prend pas en charge du négatif, on ne prend pas un fardeau pour se rendre plus malheureux que les autres. Ce n’est pas très bon. Il faut toujours être en sagesse de l’illusion*. On prend la conception que les êtres ont de la négativité. On se propose déchèterie parce qu’on a une autre conception des négativités et de la souffrance. On les sait vides de réalité propre et dépendants de causes et circonstances. C'est parce qu'on en ignore la vacuité qu'il y a souffrance (sct. Doukha). Parfois on peut lire ou entendre « prendre la négativité des êtres »; il ne s’agit pas de penser aux êtres comme étant négatifs ou mauvais. Ce jugement de valeur serait un obstacle majeur à la réalisation escomptée de Tong Lèn. Nous ne pourrions pas nous ouvrir à la Bodhicitta du cœur avec un tel sentiment de condescendance et de discrimination envers les êtres. La compassion est l’expérience qui ressort de la réalisation de l’illusion dans laquelle nous sommes plongés actuellement. La compassion est savante de l’illusion. La compassion naît de la réalisation de la vacuité. La vacuité est mère de la compassion. Le Dharmakaya génère le Rupakaya. Bouddha génère les Fils Bodhisattva.
C’est dans cette attitude d’esprit que l’on prend en charge la souffrance des êtres. Ainsi il y aura du sens à faire Tong Lèn. Le fait de visualiser la lumière sombre descendre par le canal droit jusqu’au cœur rajoute à l’importance de placer au préalable une Vue de la vacuité de ce qui est pris en charge. Les souffles de sagesse qui circulent par ce canal droit servent de monture à la connaissance non cognitive. Autrement dit, en générant une conscience non discriminante, ce sont les souffles qui font leur office de monture pour qu’elle rejoigne le cœur qui s’avèrera être le siège du Tathagata et non plus de l’égocentrisme recroquevillé sur son sort.
En fait de déchetterie, nous allons opérer un véritable recyclage. Tout comme les déchèteries se font de l'argent en récupérant les verres, les plastiques, les cartons etc, on va se faire de l’or… L’or du tathagatagarbha. Vous ne voulez pas de ça ? Je prends ! Ils n’en veulent pas parce qu’ils ne comprennent pas ce qu'ils rejettent. Ils refusent de savoir leur peur, leur saisie, leur souffrance. Ils s’accrochent à des conceptions morales de bonheur, « ça c’est bien », « ça ce n’est pas bien ». Ils ne savent pas que finalement, c’est très intéressant de faire les poubelles, on trouve plein de choses ! En "récupérant" les conceptions négatives des êtres, on exécute notre propension égocentrique. Une exécution en bonne et due forme.
Quand vient l’inspiration, l'idéal serait d'être touché directement au cœur et de s’exécuter sans atermoyer. On est imbibé de cette notion de négativité qu'ont les êtres, l’inspiration passe par la narine droite et on dirige l'attention de notre esprit jusqu'au coeur. Et toute cette luminosité noire va aller dans notre déchèterie qui est le siège même de notre égocentrisme, mais également le siège universel de l’égocentrisme de tous les êtres. Pour autant, cet égocentrisme, ce n'est pas un diable. Il n'est pas "méchant". Il est plutôt comme un petit enfant maladroit.
Alors on y va ! Il faut se sentir touché dans son petit jardin secret...mais il faut y aller! Plus l’esprit sera détendu dans cette acceptation, plus l’inspiration sera profonde et on obtiendra un autre espace. Cet espace, cette ouverture, c’est la fin de l’inspiration qui débouche, si l'exercice est bien fait, sur l'expérience proprement dite de Tong Lèn qui se traduit par un éblouissement, une sorte d'illumination qui dissipe toutes les négativités et qui s’accompagne d’une expérience non conceptuelle et d’une rétention naturelle. Si ce n’est pas le cas, sur la fin de l'inspiration, on fait autant qu’on peut une rétention détendue en imaginant comme un fétu de paille - pour reprendre l’exemple de Kalou Rinpotché - qui s’embrase d’un coup et qui dissipe toutes les conceptions de déchets, de sale, de mauvais.
Et c'est à partir de là qu'on va pouvoir faire le don. Ce qui va être donné sera le fruit de notre recyclage, une luminosité blanche et nette, libre de toute conscience de rétribution.
b.4. La distribution du don
Vient alors l’expiration. Il ne s’agit pas de se faire expirer. L'expiration doit rester naturelle, détendue. On se met en disposition d’esprit de distribuer, d'offrir ou d’abandonner, et c'est l'esprit qui fait l'effort conscient. Quand l’expiration vient, le don vient.
Il faudrait dépasser l’idée de donner quelque chose de précis, à quelqu'un et à un moment donné. « Tong » a le sens de "distribuer", comme on distribue un courrier. Le facteur distribue, il ne sait pas si les gens ouvrent leur lettre ou s’ils la déchirent. On se met dans une attitude de libéralité, on a envie de partager (vis à vis du potentiel), on "dispose" en libre service et après se sert qui veut.
Maintenant, on imagine les êtres comblés et si vous ressentez de la joie, c’est que l’amour commence à venir. Ne vous y attardez pas pour autant avec des idées que c’est bien ou que cela est égoïste. Ici, plus on donne, plus on reçoit parce qu’il n’y a pas de négociation « donnant donnant ». C’est l’amour même qui comble.
Tous les êtres sont en excellente compagnie : les hommes sont entourés de déesses et les femmes de dieux. Ils sont joyeux et comblés, jouissant de biens et de richesses en abondance. On pense qu'amour, compassion et précieux esprit d'éveil sont nés en eux.
Il est probable qu’on ne puisse pas d’un coup s’installer dans l’attitude du don. Nous aurons des pensées de toutes sortes. Il s’agit encore là de se détendre, sans espoir ni crainte. La pensée de votre dernier achat vient à s’élever sans qu’on lui ait demandé quoique ce soit. Ma voiture ! Neuve ! bien présente à l’esprit. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle va tout gâcher. Pas du tout. Goûter la joie que votre voiture neuve et confortable vous procure. Comment voulez-vous prétendre offrir des cadeaux à vos amis si vous ne savez pas le plaisir que cela procure. Continuez votre méditation sans discrimination. Vous allez peut être rencontrer de la réticence. C’est bien. Vous êtes en train de jouer le jeu. La sincérité ne commence jamais par les bons côtés. Goûter l’attachement et penser les êtres libres de cet attachement.
On pourrait se demander si finalement on ne cède pas aux désirs des êtres et finalement tout cela peut paraître une débauche de plaisirs. À cette étape de la méditation, l’intérêt est de dépasser la discrimination et la saisie de l’agrégat perception. On ne pratique pas ici une rétribution avec la certitude de savoir ce qui est bon pour l’autre.
Le fait de visualiser la lumière blanche émerger du cœur et passer le long du canal gauche rajoute à l’importance de placer au préalable une perception non discriminante de la générosité. Les souffles de sagesse qui circulent par ce canal gauche servent de monture à la connaissance des moyens habiles. Autrement dit, en générant une conscience non discriminante, ce sont les souffles qui font leur office de monture pour qu’elle rejoigne la sphère pure du Dharmadatou qui s’avèrera être l’espace de félicité. Plus on est détendu, plus l’expiration peut être longue et s’évanouir en une phase de rétention naturelle. Peut venir une expérience de l’étendue (tib. Ying) qu’est l’élément (sct. Datou) quintessenciel du phénomène (sct. Dharma)) comme de l’espace. Nos attachements discriminatoires vont se dissiper.
3) Tong Lèn et yoga du cœur
L’esprit de Tong Lèn est considéré comme un enseignement du Mahayana parce que le cœur de sa pratique est la Bodhicitta. Nous retrouvons cette pratique dans l’entraînement de l’esprit en sept points (tib. Lo Djong). Cependant c’est un véritable yoga qui nécessite la synchronicité des attentions au corps, aux souffles et à l’esprit. L’attention au corps en confiant son corps à la posture et le laisser respirer naturellement. L’attention aux souffles par la visualisation des canaux, des lumières et de leur évocation. L’attention à l’esprit en y plaçant la Vue de la vacuité et la conscience non discriminante.
Si on pratique correctement l’effort, la vigilance et la concentration, viennent la stabilité mentale et les expériences d’absorption (sct. Samadhi) libre d’activité en l’esprit-mental (sct. Amanasikāra). On se place alors dans le continuum de l’esprit et nous ferons l’expérience de rétention naturelle. Cette expérience est importante pour comprendre les souillures illusoires et l’activité superflue qui encombrent notre mental cherchant désespérément à se trouver une entité. Lors de Tong Lèn, un don total, un abandon au bien des êtres le temps de l’expiration jusqu’à la rétention naturelle, compensera le sentiment d’annihilation d’un ego. La prise en charge, sans concession, le temps de l’inspiration jusqu’à la rétention naturelle, supplantera l’impulsion de soif pour laisser place à l’état d’aisance (sct. soukha).
D’un point de vue yogique formel, un moment de conscience égocentrique se façonne le temps d’une respiration. À plus grande échelle, le passage d’un bardo à l’autre se fait sur la séquence : expiration, rétention et inspiration. Par exemple, la conscience de l’être du bardo du devenir « meurt » à l’aboutissement de la résorption de ces souffles spécifiques puis après le temps d’une rétention qui correspond à l’émergence de la réalité ultime de l’esprit, s’ensuit un souffle qui insuffle la vie dans l’union des deux gamètes dans le cas d’une naissance humaine. Evidemment, il ne s’agit pas là d’une respiration pulmonaire en soi mais d'un mouvement de la conscience.
Les expériences qu’on fera de Tong Lèn seront bénéfiques au moment de notre mort et de notre renaissance. Au moment de notre mort, par l’imprégnation de la pratique de Ton Lèn, notre dernier souffle va prendre pour issue le don aux biens des êtres sans aucune angoisse ni saisie. Au moment de renaître, la prise en charge et la compassion vont prendre place en les souffles de notre devenir.
Si je vous explique tout ça, c’est pour montrer que Tong Lèn n’est pas juste une méditation qui fait naître de bons sentiments de générosité et une bonne estime de soi. Tong Lèn est un exercice très profond. On va reformuler l’information de notre respiration pour qu’elle ne soit plus le vecteur de la construction égocentrique mais le vecteur de la construction de l’altruisme et de la compassion.
Ici se termine la première partie de Mandala Yoga.
4) Questions
Question : Est-ce qu’à travers cette pratique, on peut faire du tort aux autres ?
Réponse : Non, il n’y a pas de raison. C’est incompatible avec le potentiel d’éveil. Les pratiques par elle-même ne peuvent pas faire de tort à qui que ce soit. Par contre les vues erronées qu’on met sur les pratiques peuvent entraîner des obstacles, des obscurcissements. Des incompréhensions ou des délires peuvent nuire aux pratiquants lui-même. Il y aura toujours quelque mérite par la connexion et la force de la bonne volonté, mais il est important de rester vigilant à sa manière d’adhérer et de s'investir dans une pratique. Ce n’est jamais la pratique elle-même qui est à mettre en cause mais l’adhésion à la pratique. Pour cela j’insiste souvent sur l’attitude d’esprit à adopter et non pas sur la performance.
Q : Est-ce possible de nuire aux autres par maladresse ?
R : Dans les enseignements, nuire sous-entend une intention. Quand on préconise de ne pas nuire aux êtres c’est dans le sens d’une intention délibérée et surtout avec la conviction d'en être justifié. Maintenant que quelqu’un nous perçoit comme nuisible cela est possible à tout moment, pour diverses raisons. C’est arrivé à Shakyamuni lui-même. Tout Bouddha qu’il est, il n’est pas protégé des perceptions de l’autre. Tout Bouddha qu’il est, il ne contrôle pas les vues et intentions des autres. Quelle que soit l’action que nous accomplissons, nous ne savons jamais totalement comment elle va être perçue. Même avec une bonne image médiatique jusque là unanime, le Dalaï Lama peut être perçu comme nuisible par certains. Il peut prendre des décisions qui feront naître des désaccords puis des adversités. Il est bien de réfléchir à cette relativité des perceptions.
Même si on réalise Tong Lèn, on n’est pas particulièrement aimé de tous. L’aspiration à l'Éveil et l'Éveil lui-même ne nous garantit d'être aimé de tous.
La seule certitude qu’il est possible d’avoir c’est la connaissance de nos intentions. Ce n’est pas toujours très clair mais avec l’habitude de la vigilance et de la méditation une limpidité se fait et notre comportement gagne en spontanéité.
Q : Il y a quelques années, j’ai essayé de pratiquer Tong Lèn mais au bout de quelques séances, j’ai eu un sentiment de rejet et je me suis dit : « mais non, je n’en veux pas moi de la souffrance des autres ! »…et j’ai arrêté.
R : Et bien, vous commenciez à être sincère ! Le cœur se blinde, c’est normal. Mais il ne faut pas avoir honte de ces réticences, au contraire. C’est une bonne expérience. Vous avez expérimenté ce que tout le monde ne veut pas. Les êtres veulent le bonheur, être aimés et aucun ne veut la souffrance. Quand on expérimente ce refus de la souffrance, il faut le transposer à tous les êtres et de l’empathie s’élèvera. Quand une pratique ne rencontre pas de difficulté ni de contrariété, comme par exemple cette réticence, cela devrait nous interroger.
Q : J’avais lu dans une explication de Tong Lèn qu’on pouvait commencer à faire Tong Lèn sur soi même…
R : Pourquoi pas, mais si l'on fait Tong Lèn sur soi-même, ce ne devrait pas uniquement pour soi-même. On devrait se considèrer dans sa propre expérience d’insatisfaction ou de satisfaction pour mieux comprendre l’autre. C’est une bonne manière de comprendre qu’on n’est pas différent des autres face au mal-être existenciel (sct. doukha). L'objectif de la pratique de Tong Lèn c'est de contacter la Bodhicitta, la nature éveillé de l'esprit, qui consiste, d'un point de vue ultime, à réaliser la vacuité de nos illusions qui sont les causes du mal-être existenciel et, d'un point vue ultime, de faire l'expérience de la compréhension compassive qui fait le lien causal entre l'illusion et le mal-être. C'est cette compréhension compassive qui sera efficace pour le bien d'autrui.
Note * Extrait du Soutra du Diamant : …. si un bodhisattva a l'image de soi-même, l'image d'une personne, l'image d'un être ou l'image d'une âme, alors, il n'est pas un bodhisattva. De plus, Subhûti, un bodhisattva qui suit le Dharma ne s'installerait pas dans la pratique de la charité. C'est-à-dire qu'il ne s'installerait pas dans les formes de la charité. Ni même dans les sons, les odeurs, les goûts, les sensations tactiles ou les idées de charité. Subhûti, un bodhisattva serait ainsi charitable sans avoir à assumer de telles images. Pourquoi ? Si un bodhisattva ne s'identifie pas aux images de la charité, sa véritable vertu est incommensurable.