Principe
de la visualisation
Par Lama Shérab Namdreul à
Yogi Ling
Visualiser,
au sens contemplatif, veut dire se représenter à l’esprit une image conçue
par l’esprit. Une concentration répétitive et un effort ténu de l’objet
à visualiser sont nécessaires jusqu’à une représentation claire purement
mentale. Ce qui veut dire que l’objet de visualisation doit s’établir en la
sphère même de la clarté de sa connaissance. Ensuite vient la capacité
d’une liberté de déplacement et de conception, avec un réel discernement.
Il ne s’agit pas de fermer les yeux et de former une image sur le fond noir
des paupières avec la tentative de voir. On en resterait à une forme virtuelle
qui constitue encore une forme de la conscience (tib. namshé) visuelle. Cela se
limiterait à un exercice d’imagination autosuggestive.
Visualiser
n’est pas voir. C’est savoir. D’ailleurs il est possible de visualiser une
odeur ou un son. Le terme visualiser prête à confusion. Entraînez-vous à
vous faire entendre une mélodie, à vous faire sentir une odeur. Ce sont des
petits exercices qui rendent notre esprit plus souple.
Il faut garder en mémoire les préceptes élémentaires de la contemplation :
a) l’objet est semblable à l’arc-en-ciel, union de clarté et vide
b) l’objet est placé en la clarté même de l’esprit
Nous
nous plaçons dans une concentration juste, c’est-à-dire libre d’un objet
de méditation, d’un sujet qui médite et de l’acte de méditer. Nous sommes
libre des “ trois enfermements ” (tib.Khor Soum) de la cognition.
Par l’effort de concentration nous essayons de nous maintenir dans une
connaissance non cognitive. La visualisation que nous aurons choisie au préalable
va être alors l’espace même de notre contemplation qui permettra de reconnaître
la Clarté-Vacuité spontanée.
L’absorption
contemplative (sct. Samadhi) est une sorte de laboratoire d’analyse où l’on
reconstitue le continuum naturel de la connaissance (tib. rikpa).
Être
en l’instant même de l’avènement du connu c’est le domaine de la sphère
de la connaissance (connaissance non obstruée :
tib. rikpa). L’absence de cette connaissance (tib. ma rikpa) se dit
ignorance. En fait la connaissance n’est pas en exercice. L’avènement du
connu n’étant pas réalisé comme coémergent à la sphère même de la
connaissance, s’instaure le facteur mental de saisie qui consiste en une
imputation d’altérité sur le connu ce qui produit le sentiment d’une
subjectivité réelle. Au lieu d’expérimenter la connaissance coémergente de
clarté-vacuité, s’exerce alors un moment mental cognitif où un connu semble
se faire connaître en tant que tel "vers" une connaissance. Par cette activité
cogitale vient l'image d'un "destinataire" avec l'idée de sujet distinct qui devient la base de la saisie
d'une identité en sa personne. Cette connaissance cognitive (tib. namshé) est obstruée c’est-à-dire
liée et associée aux causes et conditions des imputations. Elle est enfermée
dans un mode d’imputation illusoire qu’on appelle les trois cercles (tib.
Kor soum) ou enfermement: l’objet, le sujet et cognition.
La
connaissance non-obstruée représente
la qualité essentielle de l’esprit n’établissant pas de discrimination
d'un objet distinct pour connu en tant que tel et d'un sujet
distinct pour connaissant en tant que tel . et restant libre d’enferment (tib. Kor soum, les 3
cercles).
La
connaissance non-obstruée n’impute pas d’existence intrinsèque aux
apparences. La connaissance laisse aux apparences le seul sens d’apparaître.
C’est
sur cette compréhension de la connaissance qu’il faut comprendre l’utilité
de la contemplation. Quand la visualisation est clairement établie en l'esprit,
il est facile de reconnaître l’unification de nature de la clarté et du vide
d’altérité. À ce moment-là, on peut évoquer le symbolisme des différents
éléments qui composent la visualisation. Cela permet de purifier les
souffles subtils. Puis on passe à la phase de résorption pour s’établir
en l’unification de nature de la connaissance et du vide.
Pour
visualiser je préconise de commencer par s’établir dans une détente avec
une conscience sensitive qui s’oppose à la conscience discursive. Dans le
tantra comme dans le yoga, la présence au corps est une aide pour placer la
conscience sensitive. La méditation de l’enceinte vide, par exemple, est une
phase préalable très efficace. On laisse le corps "faire ce qu’il sait
être" puis on se le représente dans son apparence évidente et à la fois
vide d’organe, de chair et d’os. Ensuite on se débarrasse de toute
identification réductrice à notre corps. En quelque sorte, le corps est en
vacance de nos identifications comme : "mon" corps, je suis
vieux, homme, grand etc…
Après
la conscience sensitive, on développe une conscience évocatrice. On imagine
une luminosité emplir l’enceinte vide du corps évoquant la pureté
primordiale libérée des vues erronées du karma souillé. On peut continuer en
évoquant le yidam, ce qu’il nous inspire ; compassion, sagesse, pouvoir
etc… Puis on continue l’évocation par la symbolique d’un lotus, des
attributs etc… Il faut se sentir inspirer de ce que représentent les formes
avant de vouloir voir les formes. Il sera plus facile, ensuite, de générer la
conscience contemplative avec une véritable efficacité pour
reconnaître l’unification de nature de la clarté et du vide. je l'appelle
également "conscience imaginale". cet "imaginal" ne relève
pas du fantasme ordinaire. Dans cette
conscience imaginale, une véritable aisance s’instaure, une impression de
liberté ludique. Mais il ne faut pas quitter de vue que le véritable objectif
est la réalisation de la vacuité.