M Le yoga du réveil

Extrait n° 1 du cycle Mandala Yoga

de Lama Neldjorpa Shérab

Transcription Fabienne Lenoble

 

LE YOGA DU REVEIL

 

1) Commentaires

a) Expulsion des souffles résiduels

b) Instructions préparatoires

c) Le yoga du réveil

d) Prière à réciter

e) Conclusion

 

1) Commentaires

a) Expulsion des souffles résiduels

Dans cette pratique du yoga du réveil, on utilise un exercice appelé "expulsions des souffles résiduels". Cet exercice peut être considéré comme une pratique à part entière, au début d'une session de méditation, d'une journée de travail, à n'importe quel moment de la journée où l'on se sent plein d'émotions. En yoga, quand il y a émotion, on pense tout de suite aux souffles, à leur pollution puis à leur purification.

Souvent, dans une journée de travail, par manque de vigilance, on se laisse gagner par des émotions et quand on rentre chez soi, on se sent en quelque sorte pollué, chargé, encombré. On s'est embourbé dans des projections et des illusions. Le soir venu, il se peut alors qu'on aille s'affaler dans son canapé ou s'écrouler sur son lit, inerte, victime. On aura tendance spontanément à expulser, on va faire " haaaa " ou encore "ououff" dans un grand soupir. Avec l'exercice des expulsions, on va diriger cette expiration, canaliser ce soupir d'exaspération afin de nettoyer un peu les souffles subtils.

En premier lieu, cet exercice nous invite à prendre une posture digne et en respect de soi et de son corps. Un soupir d'exaspération passant par la bouche n'apporte aucun intérêt du point de vue des souffles subtils. En yoga, on expire par les narines afin de stimuler deux canaux subtils qui passent à cet endroit. Ils sont appelés les deux canaux latéraux. Cet exercice peut avoir une réelle efficacité sur les souffles subtils si toutes les conditions sont bien remplies.

L'expulsion des souffles résiduels veut dire que l'on chasse les résidus émotionnels jusqu'aux derniers. Le matin est particulièrement propice car c'est le moment où l'on peut avoir le plus de lucidité à l'esprit. C'est pour cela que, dans la pratique du Mandala Yoga, il est intégré au yoga du réveil. En effet, à la fin de la nuit, on a normalement tout digéré. Il y a eu une totale séparation des cinq éléments associés aux aliments, il y a eu la séparation du pur et de l'impur, et dès le réveil, on élimine généralement toutes les substances inassimilables (les urines et les selles). Toute l'énergétique, la quintessence des aliments est passée au niveau des cinq éléments purs du corps et de l'esprit. C'est pour quoi on peut avoir plus de lucidité le matin, une lucidité primordiale, première, innocente. On est vierge. Une nouvelle journée recommence, on a réinitialisé le "disque dur" de la veille. Au matin, cet exercice efface les dernières traces des aliments, des saisies et des projections et peut achever la purification des cinq tiglés des cinq éléments en l'Esprit.

C'est un exercice très simple mais très important. Il ne faut pas le faire n'importe comment, ni trop souvent d'ailleurs. Deux ou trois fois par jour quand c'est bien fait. Comme tout exercice de yoga, il faut l'attention du corps, l'attention de la parole (souffle) et l'attention de l'esprit. Il est indispensable d'obtenir une synchronicité de ces trois attentions pour qu'on puisse parler de yoga. On reste en conscience mais "on ne se le pense pas". Il faut être dans la lucidité directe. Sans l'idée " j'ai dix minutes pour faire mon petit exercice ", sans notion d'échéance parce que l'échéance tue l'instantanéité. Le fonctionnement du mental souillé se réfère toujours à des pensées du passé ou à des pensées du futur, ce qui crée la notion de temps, d'un avant et d'un après.

Donc dans cet exercice, il y a un aspect corporel à travers la posture, un aspect pneumatique à travers les expulsions des souffles et un aspect spirituel à travers la méditation proprement dite, c'est à dire la visualisation et l'attitude d'esprit détendu.

 

b) Instructions préparatoires

1) la posture corporelle de la méditation assise

Il est important de prendre une posture correcte, et le point le plus important dans la posture est d'avoir le dos droit. Si on peut se mettre en posture de méditation traditionnelle (appelée posture de Vairocana) c'est bien. On peut aussi être assis sur une chaise par exemple. Quelle que soit la posture adoptée, il faut veiller à ce que le bassin soit bien basculé et avoir le dos droit.

En posture traditionnelle, avant de vouloir asseoir les fesses, on place d'abord les genoux au sol sans croiser les chevilles et on met un coussin suffisant pour que le bassin puisse basculer vers l'avant. D'abord les genoux au sol, ensuite les fesses calées par le coussin ou autant que nécessaire afin que le poids du corps puisse se répartir sur les trois points que sont les deux genoux et les fesses. Ceci est très important, il faut trouver cet équilibre. De cette manière, la colonne vertébrale pourra se loger dans le creux du bassin et il y aura très peu d'effort pour maintenir le dos droit. Si le bassin ne bascule pas, on va forcer sur les genoux et on risque d'avoir mal au dos et de se fatiguer. Donc, veillez à ce que le bassin soit vraiment basculé et à partir de là, on est droit sans effort, les mains posées sur les genoux, sans tension musculaire particulière. Au début ce n'est pas naturel et on peut être un peu crispé. On décrispe alors les muscles sans pour autant relâcher la posture. Associez rigueur et détente. Je compare parfois le bassin à la coque d'un navire. Le bassin bien placé permet un ancrage stable comme pour une coque disposant d'une bonne quille. Le bassin ne sera pas vissé au sol mais gardera toute son articulation. Il sera, ensuite, aisé de placer correctement la colonne vertébrale semblable au mât du navire.

Ensuite, on va utiliser les épaules comme les filins du mât qui doit être maintenu par le haut. On redresse les épaules, qu'elles ne soient ni tombantes ni trop hautes, en jouant sur la position des bras le long du corps, sans les décoller ni trop les serrer non plus, légèrement en arrière. Ainsi, les omoplates semblent guider la colonne vertébrale. L'ensemble au niveau des épaules et des clavicules donne l'image d'une nouvelle coque, un nouveau bassin, sur lequel peut se reposer la tête aussi délicatement qu'un œuf au creux d'un nid. A partir de là, on peut élancer la colonne vertébrale vers le haut. La tête peut se reposer, sans fatigue. Il suffit pour cela de faire un léger retrait en arrière de la nuque pour la placer dans le prolongement de la colonne vertébrale. Le menton suit ce mouvement sans pour autant se baisser. Il se fait comme un pli léger à la gorge au niveau de la pomme d'Adam. Parfois on parle d'un crochet. Cela permet de réguler le souffle de l'élément feu. Ce crochet rend efficace les expulsions. C'est comme un clapet anti-retour. Si la tête n'est pas bien calée, elle va devenir lourde, on va se fatiguer. Elle va partir d'un côté ou d'un autre et le corps va suivre puis finalement l'esprit sombrera dans la torpeur.

La langue est placée très naturellement entre le palais et les dents supérieures, les lèvres légèrement entrouvertes, les yeux ouverts ou mi-clos. On ne médite pas les paupières fermées comme on ne médite pas les oreilles fermées ou les narines fermées. Ne cherchez pas à faire une abstraction sensorielle.

Une fois le dos droit, la tête bien calée, il faut placer les yeux. La posture des yeux est importante. Il s'agit plus de placer des yeux qu'un regard. On place les yeux en les faisant converger en un point virtuel devant soi. Une fois les yeux placés, l'esprit s'applique à méditer. Les yeux ne doivent pas arrêter leur regard sur un objet particulier. Il ne faut jamais "appuyer" cette convergence contre un objet, contre un mur ou contre le sol. Cela obstrue la connaissance. La convergence ne se fera pas et l'esprit s'associera à la conscience du regard. On peut dire qu'il y a convergence en un point virtuel quand il n'y a pas de regard. C'est une convergence des yeux simplement au sens focal du terme. C'est le fait même de convergence qui rend virtuel le point. Ne braquez pas le regard sinon les yeux vont piquer. Restez détendu. Cette convergence est très utile en yoga parce qu'elle va faciliter l'union des souffles et de l'esprit. Même si on fixe l'espace, on ne l'appuie pas sur le bleu du ciel, on reste en convergence. On ne regarde pas. On voit peut-être, qu'importe ; il faut passer à l'esprit, s'exécuter à méditer. C'est aussi simple que d'avoir garé sa voiture au parking. Une fois qu'elle est garée, on ne s'en préoccupe pas. On est sûr d'avoir fermé à clé, c'est la posture. On l'a placée au parking, on a payé sa place, on est tranquille, l'esprit peut vaquer à ses occupations. Il faut être simple mais ne pas hésiter. Il ne faut pas tergiverser avec les yeux parce que les yeux président à l'agitation mentale. Il y aurait beaucoup de chose à dire sur les yeux. On aura l'occasion d'en reparler quand on abordera la posture en relation avec les cinq éléments.

Si on éprouve des difficultés à s'asseoir en posture traditionnelle, on peut s'asseoir sur une chaise (ou sur le bord d'un lit). Dans ce cas, il faut veiller à ce que les genoux ne soient pas plus hauts que les cuisses, les fesses légèrement surélevées avec une ligne de fuite des genoux. Il ne faudrait pas s'enfoncer dans le lit ou s'appuyer contre un dossier. Le bord de la chaise (ou du lit) ne doit pas presser les cuisses mais se positionner au niveau du périnée. Les genoux sont écartés et les pieds bien à plat au sol.

Une fois le corps bien disposé, on détend la respiration. La vigilance passe le corps en revue comme un scanner. Si on est crispé, on décrispe, sans relâcher, on reste ferme dans la posture. On peut être très ferme et en même temps confortable, détendu. La fermeté fera qu'on pourra confier le corps à la posture.

Quand on débute, il peut être utile de prendre simplement la posture du corps comme un exercice en soi. Cela permet d'observer les tensions, d'apprendre à les dissiper puis d'acquérir lentement un certain confort.

Pendant l'exercice des expulsions, les mains sont posées sur les cuisses de façon à ce que les bras soient droits sans être crispés. Au moment de l'inspiration, il faut éviter toutes fuites des souffles subtils purs qu'on visualise sous forme d'une lumière blanche. Pour cela, les pouces pressant la base des annulaires (photo 1), on ferme les poings (photo 2) et, dans le même temps, on contracte légèrement au niveau du périnée. Cette contraction invite un souffle du bas à monter. Au moment de l'expiration, les doigts s'écartent (photo 3) pour évacuer les souffles résiduels impures qu'on visualise sous forme d'une lumière noire. On ne relâche pas pour autant le souffle du bas. Cela permettra de canaliser les souffles résiduels jusqu'à l'expulsion.

 

2) la respiration

L'expulsion des souffles résiduels prend pour base la respiration. Il existe de nombreuses méthodes utilisant le va et vient de la respiration. La plus connue est la méditation du calme mental (sct. Samatha, tib. Chiné) qui prenant pour objet la respiration dissipe l'élaboration dialectique du mental souillé, faisant place à l'équanimité naturelle de la connaissance. La méditation de l'élément espace et le son Ah utilise aussi le flux de la respiration. Il y a également la méditation de Tong-Lèn (donner et prendre) qui, sur la base de la respiration, éradique la propension égocentrique pour s'ouvrir à notre bonté fondamentale et naturelle. Dans le Mantrayana, il y a une méthode de récitation du mantra qui s'appuie sur la respiration grossière pour arriver à joindre récitation et souffles subtils et finalement l'intégrer jusqu'à l'émergence du Verbe vajra unifié à la contemplation. Ces différents niveaux de méditation sont pratiqués dans le Mandala-Yoga. On en parlera en détail le moment venu.

Maintenant, quel que soit le type de méditation, l'attitude d'esprit à l'égard de la respiration est importante. L'esprit doit considérer la respiration aussi simplement qu'il est dit dans l'enseignement du Bouddha : " quand il y a expiration, l'esprit sait l'expiration, quand il y a inspiration, l'esprit sait l'inspiration ". Cela devrait être simple ! Cependant, quand on commence à méditer c'est tout le contraire qui se produit. Il ne s'agit pas de se faire expirer ou inspirer. Simplement, il y a une expiration ou il y a une inspiration. On connaît avec une connaissance sensitive et équanime, une connaissance primaire, sans élaboration mentale, sans saisie, sans se faire savoir qu'on connaît. Il ne faut pas se dire " oui mais comment faire ? " ou bien " oui mais je ne peux pas ne pas saisir ". On quitte toute élaboration. C'est comme ça, il n'y a pas à tergiverser. Non saisie, c'est non saisie. S'il y a un discours qui s'élève, on l'arrête et on revient à la respiration, à connaître l'expiration s'il y a expiration. Ne vous imaginez pas qu'il suffit de penser qu'on respire pour qu'un état d'équanimité se lève. Dès l'abord, on se met en attitude d'équanimité, en restant sans espoir ni crainte. C'est à force d'orienter l'esprit qu'on tait le discours dialectique. On ne peut pas avoir une méthode contre ce discours mental. Pour jouer sur les mots, on peut dire qu'à trop chercher comment taire le discours mental les commentaires nous envahissent. Il y a juste à tourner l'esprit vers l'objet. On s'exécute ou pas. On est seul à pouvoir prendre la décision. On est seul maître de son effort.

On commence donc par avoir une respiration détendue et pour cela on se détend. Si on détend l'esprit, la respiration suit, naturelle. Il n'y a jamais à contrôler la respiration en yoga. C'est l'esprit qui contrôle et on le contrôle par la détente. On n'impose pas la détente. Ce serait comme vouloir imposer la paix par la guerre. On l'apprivoise et il devient un ami. On apprivoise par la confiance, paisible. On est bien installé, on est conscient de sa respiration.

L'association de l'effort juste et de la détente lucide se fait avec l'habitude. Comme en art où technique et talent vont de paire. Si on obtient par le travail et l'effort une bonne application de la technique, c'est profitable à une expression libérée du talent. La maîtrise d'une technique ne veut pas dire une rigidité académique. La maîtrise peut laisser libre court à l'imagination, à l'humour et à la surprise. En méditation, on peut parfois confondre effort avec recherche d'un contrôle, dans le sens d'une infaillibilité ou d'une toute puissance. De même, on peut confondre détente avec démobilisation, stand by ou "assistanat angéliste". Si l'on est déterminé à s'éveiller de l'illusion, ces confusions se dissiperont avec l'habitude de la pratique.

L'exercice d'expulsions des souffles résiduels peut se faire en trois respirations : une respiration comprend une expiration et une inspiration. Quand vient l'expiration, on va la faire sans trop contrôler, seulement l'aider un peu. On va légèrement laisser se creuser le ventre. On commence par le ventre comme on commencerait par l'extrémité d'un tube de dentifrice, pour ne rien laisser. Très détendu avec l'esprit conscient, sans technicité, sans volition. On sent depuis le ventre et on suit le trajet sensitivement, sans chercher à contrôler, comme si on goûtait un vin, sensuellement, jusqu'à la fin. Arrivé au niveau de la gorge (vers le crochet), on contracte légèrement les muscles à cet endroit comme un robinet qu'on ferme et on décoche l'expulsion. C'est comme fermer les portes derrière soi. Ce mouvement en "coup de glotte" va conclure l'expiration. Ne bougez pas le corps pour autant. Parfois, on n'a pas trop de force sur la fin de l'expiration ou bien c'est un peu bruyant. Ce n'est pas grave. Il faut le faire sans perturber la sensitivité de la conscience. Bien partir du ventre qui se creuse, sentir, faire venir, acheminer.

Si on expire sans aucune attention profonde, on fait une expulsion comme on se mouche. Cela n'impliquera que la respiration grossière et biologique qui part des poumons jusqu'au nez. Se moucher n'a jamais purifié l'esprit. Malheureusement !

Si une bonne expiration se fait, il peut y avoir en yoga, une petite rétention naturelle. Une rétention, ce n'est pas de l'apnée, c'est de la détente spirituelle. On est détendu, une rétention très détendue et très fixe, très lucide ; clarté. Cela peut prendre un instant ou plus. Là, il ne faut pas chercher, ça ne se crée pas. C'est la simplicité de l'esprit. Si on a une synchronicité d'attentions (corps, souffle, esprit), la détente équanime vient ; c'est la cerise sur le gâteau … ! Si c'est bien fait, on n'a pas envie d'inspirer tout de suite et on est stable et claire. Dans l'instant de cette rétention, on se place dans la clarté.

Quand on est débutant, sans une certaine écoute de cette rétention, on aura tendance à se faire inspirer. C'est vraiment important de comprendre qu'on peut laisser l'éventualité d'une inspiration à ce moment là. Cela pourrait nous être utile au moment de notre mort à notre dernier soupir. C'est très intéressant de pouvoir mourir en pleine conscience de cette rétention vide. Imaginez ! On est pur et dans une rétention lucide ! Cette ultime rétention permet l'expression de la non-mort. Pour expliquer la mort, on donne traditionnellement l'exemple d'un vase qui se casse. L'espace que refermait ce vase s'unifie à l'espace extérieur. Seulement, d'un point de vue ultime, il n'y a pas même le déplacement d'un espace vers un autre. Il n'y a pas même le mélange d'un espace intérieur dans un espace extérieur. Il n'y a pas deux espaces. En cela il n'y a pas quelque chose comme étant la mort. C'est le sens de cette rétention qui est associée au non conceptuel. Mais rassurez-vous, l'exercice ne provoque pas de mort prématurée !

Et puis l'exercice continu… vient une inspiration. On détend et l'inspiration va détendre aussi le ventre. On pense que l'inspiration vient d'une distance de seize doigts devant son nez. Cela permet de dissiper l'assimilation de la conception du soi avec le "dedans" du corps. En fait, l'inspiration est sensée suivre une rétention reconnaissant l'espace sans concept d'intérieur et d'extérieur. La visualisation aidant, il y a une purification comme une renaissance, une réinitialisation du disque dur. Ce phénomène se produit tout particulièrement au moment où l'être dans le bardo du devenir va reprendre renaissance. C'est un principe de vase communicant. Quand l'être " décède de son bardo " s'ensuit une "inspiration motionnelle" qui insuffle l'être à renaître. Cette inspiration est motivée soit par la soif égocentrique soit par la compassion vacuité. Si toute la perception de notre bardo est fait d'amour, de compassion et de sagesse par la force de notre vue pure, nul doute que cette "inspiration motionnelle" en sera un "échantillon" et se poursuivra en le canal central de l'être à renaître. Sa renaissance ne participe pas du samsara mais est une émanation (tib. Toulkou) de cette compassion vacuité.

Mais on revient à l'exercice. Après l'inspiration, il peut y avoir aussi une rétention naturelle. Le ventre est très détendu. On peut rester là. La rétention naturelle à l'inspiration est nourrie. On est stable, comblé… félicité.

Puis vient une expiration, et à nouveau, inspiration, expiration… tranquillement. Quand on a fini les trois respirations, on reste détendu puis on fait sa méditation.

Voilà quelle attitude d'esprit avoir vis à vis de la respiration. On aura beau respirer, sans l'attitude juste, il ne se passera rien. On utilise la respiration mais pour que la respiration soit profitable aux souffles subtils, il faut la conscience sensitive, sans élaboration d'espoir et de crainte et avec une attention profonde. Le temps d'une respiration se fait toute l'élaboration égocentrique et son samsara. Ce n'est pas la respiration qui est souffle subtil, c'est le rapport à la conscience sensitive qui fait qu'il y aura souffle subtil. Pour cela on va ajouter quelque chose sur la respiration : la visualisation.

 

3) la visualisation

La pratique de la visualisation dans le Vajrayana est cruciale. On ne peut séparer la science du Tantra et du Yoga de la pratique de la visualisation. Le Tantra et le Yoga trouvent leur raison dans l'efficacité de la visualisation contemplative. Si l'on comprend qu'une attitude juste à l'égard de la respiration en viendra à purifier les souffles subtils, on peut comprendre qu'une attitude juste à l'égard de la pratique contemplative entraînera en les souffles la connaissance de la nature même de l'esprit en ses qualités de clarté, félicité et vacuité. La visualisation apporte l'image aux souffles subtils, comme une information de lumière dans les fibres optiques. Quand on parle de visualiser, il ne s'agit pas de voir mais de se représenter à l'esprit, et bien sûr sans discours mental. Visualiser est un acte typiquement spirituel, en l'espace même de l'esprit.

Pendant l'expulsion des souffles résiduels, on ne pense pas l'expiration mais on visualise une luminosité noire, sombre qui s'échappe par tous les orifices du corps, supérieurs et inférieurs, surtout par les narines, mais aussi par tous les pores de la peau, comme des toxines, les toxines de l'esprit.

Ensuite vient l'inspiration. On met alors à l'esprit l'idée d'une pure luminosité blanche. Le blanc, c'est le pur, c'est l'idée de l'immaculé. La neige sans aucune trace de pas. On fait un nettoyage à blanc. On réinitialise tous les souffles subtils. On reste dans une blancheur, tout notre corps est allégé, blanc. Il ne faut pas chercher à voir du blanc. Invoquer déjà l'idée de pureté blanche est largement suffisant. Il ne faut pas se dire " je suis en train d'inspirer, ça va faire venir de la lumière etc… ". On sent et on se représente gagner en luminosité blanche. On est habité de luminosité blanche, parce qu'il y a de la place, on est tout vidé, toutes les saletés sont parties. Et on goûte cette blancheur dans tout son corps.

Donc, ce qui va être important dans l'exercice, c'est d'associer cette visualisation au rythme de la respiration et dans la rigueur de la posture du corps.

 

c) Le yoga du réveil

Le yoga du réveil se fait juste au moment où l'on se réveille. C'est le moment où se dissipe l'obscurité mentale semblable au sommeil. La parcelle de lumière passant par les yeux est assimilée à la lucidité de l'esprit. C'est le réveil. Parfois, on aura tendance à traîner et on va revenir dans la somnolence. Dès que l'on se sait réveillé, il faut se redresser sur place, l'oreiller sous les fesses pour prendre la posture de méditation, le dos droit. L'esprit aura peut-être tendance à se remémorer les impressions du rêve que l'on a fait. Ne le saisissez pas. Ne l'analyser pas. Ne vous laissez pas émouvoir par les impressions que vous en gardez. Coupez net. Dans ce yoga, on n'utilise pas la mémoire du rêve. On coupe toutes les pensées comme " j'ai rêvé ça ", " j'ai encore sommeil "… On ne cautionne pas, on coupe. Un instant peut faire la différence. S'il y a une pensée du futur, " qu'est-ce que je vais faire ", " j'attends le petit déjeuner ", on lâche prise et on reste présent. Dans le présent, il n'y a aucune pensée parce que le présent n'existe pas. On ne fait pas d'analyses, on reste dans la lucidité innocente du moment. Et tout de suite, on profite de ce moment pour expulser les souffles résiduels dans l'attitude d'esprit expliquée plus haut.

Une fois qu'on est redressé, on adopte la posture correctement ; la colonne vertébrale, le crochet du menton, etc. On fait alors l'exercice d'expulsions des souffles résiduels.

On est complètement ouvert pour laisser passer toute l'expiration. On est très profond, très lent. On ne se précipite pas. Cette conscience au corps demande très peu de notre attention. Le plus important de l'exercice n'est pas d'inspirer ou d'expirer, mais de visualiser correctement au niveau de l'esprit. L'important, c'est de s'efforcer à faire un acte d'esprit et l'acte d'esprit, c'est visualiser. Donc, au moment de l'expiration, on ne pense pas l'expiration ; simplement il y a expiration, une bonne expiration qui vient du fond de son corps. Le ventre se creuse, on reste sensitif et on met en place la visualisation, une lumière noire qui sort par tous les orifices du corps.

Puis l'inspiration, on s'emplit de lumière blanche qui purifie. On presse la base de l'annulaire avec le pouce. On stimule le souffle du bas en contractant légèrement le périnée et si l'on veut les orifices inférieurs : le sexe, l'anus. Ça permet d'avoir une présence globale au corps et en même temps on évite les fuites insidieuses des souffles pour les rediriger. En yoga, on veille à avoir une conscience constante du siège, du plancher pelvien. On l'appelle souvent le lieu secret, le lieu intime.

Il ne faut pas que la contraction de cette partie du corps fasse naître trop de pensées. Ne soyez pas trop sérieux. Garder le naturel et le plaisir de l'effort juste. A la fois détendu et vigilant. C'est cela qui fait l'intérêt de l'exercice. C'est l'esprit qui se détend et on peut contracter cette zone dans toute sa détente. Inspiration, luminosité blanche et détente, détente jusqu'au fin fond de l'inspiration. Et parce qu'on est très détendu, le ventre se gonfle naturellement et on peut aussi sentir de la chaleur. Il faut juste un regard de l'esprit, et puis la visualisation vient. Et visualiser naturellement amène à son tour une détente. L'inspiration va être ample, dans tout le corps. Ça va dépasser le cadre de la respiration ordinaire, biologique, et c'est l'esprit visualisant qui permettra aux souffles subtils de pénétrer tout le corps jusqu'au bout des doigts.

Pas de technique, pas de yoga, pas de pratiquant. Il faut goûter, se faire plaisir. Il faut s'atteler à cet exercice comme on se placerait à une table de restaurant devant un bon plat. Il faut le faire avec une conscience de visualisation et surveiller sa vigilance pour que ce ne soit pas un discours mental, une autosuggestion.

Bien sûr, il est sûr que nous n'allons pas y arriver tout de suite. C'est bien cela le sens de la pratique. Quand on n'y arrive pas, on applique sa vigilance et le rappel des instructions. Est-ce que ma pratique suit les instructions ? Est-ce qu'il y a distraction ? Espoir d'un résultat ? Et on corrige. Et en pratiquant, on s'améliore. Il n'y a pas de méthode clef en main qui fonctionnerait. Ce n'est pas la méthode qui va tout faire. C'est l'intelligence à la méthode. Comment nous nous appliquons à la méthode. Cette faculté vient de l'effort juste et l'effort vient de notre esprit. Ce n'est pas le corps qui l'a, ce n'est pas le souffle non plus, ce ne sont pas les yeux. L'esprit c'est celui qui va assimiler la méthode et qui va s'y appliquer. C'est lui qui va développer un effort conscient, un effort détendu, avec toute la gamme d'intelligence qu'il faut pour adhérer à la méthode, sans espoir ni crainte, détendu, pour le bien des êtres, disponible, ouvert.

Il faut donc un effort conscient. L'effort juste fait bon usage de l'attention et de la vigilance avec le rappel des instructions. Du coin de l'œil en quelque sorte, de coin de l'esprit, on a une vigilance. La vigilance va s'apercevoir qu'on est en train de penser à se faire respirer. C'est le discours mental. Si on le voit, ce n'est pas grave, au contraire. Le fait de méditer nous amène à se rendre compte de notre discours mental. Mais on n'en fait rien. Il faut couper et rester simple. On revient, on essaye de goûter la visualisation, la luminosité blanche, la lumière noire. C'est une réalité évidente de. Il faut être simple et déterminé.

 

d) Prière à réciter

Une fois qu'on a fait ces trois expulsions de souffles résiduels, on fait naître avec une forte aspiration la pensée suivante :

 

Puissé-je me purifier du voile de l'ignorance semblable au sommeil

Et m'épanouir dans la connaissance claire de la vacuité

Pour le bien de tous les êtres.

 

On est détendu, on profite de ce moment. C'est comme en informatique, on vient de vider tous les virus, on réinstalle un logiciel. Ce logiciel est l'aspiration.

On récite ces mots tout en développant leur sens à l'esprit. Il est bien d'apprendre ces vers par cœur afin de ne pas avoir à sortir le texte et pouvoir rester tranquille. Le plus important est d'en générer le sens à l'esprit. C'est une prière ou un souhait, comme on veut. C'est la génération d'une noble aspiration. Ne pensez pas que "la barre est haute" comme on dit. Elle est simplement inhabituelle. Ça dissipe les habitudes, le fatalisme, la routine, la paresse d'esprit. Ce qui rend fatal le samsara, c'est notre paresse, ce n'est pas le samsara qui par nature est fatal. Et les souhaits s'exaucent immanquablement.

Les deux premiers vers sont en fait la définition du mot " Bouddha ". En tibétain, Bouddha se dit Sangyé. Ce mot se compose de deux syllabes : Sang et Gyé. La syllabe "Sang" veut dire pur. On a dissipé tous les voiles qui recouvrent la nature fondamentale de notre esprit, comme les nuages qui voilent le soleil. La syllabe "Gyé" a le sens d'épanoui. Une fois que tout les voiles sont dissipés vient l'épanouissement total, dans tout l'espace. Il y a donc deux aspects dans l'Eveil : la purification et l'accomplissement de cette purification, le plein espace de la nature de l'esprit. La vacuité plénitude est réalisée.

Généralement, on parle de quatre voiles qui recouvrent la nature fondamentale de l'esprit : le voile de l'ignorance, le voile de la tendance fondamentale, le voile des émotions et le voile du karma.

 

Puissé-je me purifier du voile de l'ignorance semblable au sommeil

 

Ici, on va au cœur de l'illusion, le voile de l'ignorance. On coupe à la racine. On vient de quitter le sommeil et on n'a rien vu de ce qui s'est passé. On a été sans maîtrise, sans lucidité pendant tout le temps du sommeil. On a ignoré notre sommeil et finalement on a été manipulé par nos rêves ou nos cauchemars. On a dormi dans l'opacité, on n'a rien vu.

De là on génère une forte aspiration à l'esprit. Ce souhait d'aspiration est habité d'un sens de la responsabilité. On n'attend pas avec un vague espoir que quelqu'un nous entendra et nous exaucera. On ne demande pas non plus la permission ; " puis-je m'éveiller ? ". Le souhait implique un engagement. On veut rester dans la lucidité. On veut dissiper tout voile.

Le sommeil illustre bien la conséquence du voile de l'ignorance. Le voile de l'ignorance entraîne la saisie d'une entité dans le soi. Par cette saisie "égocentrique" le sommeil s'impose à l'esprit comme un état. L'esprit tombe dans le sommeil. C'est un malentendu. Il n'y a pas d'esprit qui dort, il n'y a pas de corps qui dort. Le corps est une masse de chair, il n'a pas lieu de dormir. L'esprit est lucidité continuum. Il ne peut pas cesser de connaître, de faire expérience. C'est un continuum d'expériences. Le sommeil n'est pas un état mais un facteur mental qui émerge de l'esprit lui-même. La saisie égocentrique fait que le facteur mental entraîne l'établissement d'un "je dors". Si on arrive à demeurer dans une vigilance continue, le facteur mental "sommeil" ne s'élabore pas comme réel et on expérimente la "claire lumière de la connaissance". Le sommeil est le singe de la mort. Au moment de la mort, la saisie d'une entité entraînera l'établissement d'un "je meurs". Comme il n'est pas possible de cesser la connaissance continuum, l'esprit émerge à nouveau dans un rêve après la mort qu'on appelle le bardo du devenir.

 

Ensuite,

 

Puissé-je m'épanouir dans la connaissance claire de la vacuité

 

Ce qui vient, à force d'enlever les voiles, c'est la réalisation de la vacuité, la nature même de l'esprit. La réalité de l'esprit est vide d'entité. Cette vacuité est connue dans sa lucidité. C'est la connaissance claire de la vacuité.

La connaissance, c'est le premier b.a.-ba pour être en état d'être à même de connaître. C'est la connaissance non obstruée, la connaissance innée. L'esprit est connaissance.

Claire, parce que tout ce qui apparaît est clair. Tout ce qui apparaît est clairement l'esprit, pas autre chose. Une vague apparaît, c'est clairement l'océan. Quand on voit la vague, on voit l'océan. Quand on voit une pensée, on voit l'esprit. Il n'y a pas de différenciation. Il n'y a pas à chasser les pensées pour voir l'esprit. Tout cela, c'est de la même nature, tout cela est clair. Quand on voit du noir, c'est clair. Quand on voit du clair, c'est clair. Il n'y a pas de distinction dans cette clarté. Elle est indépendante, elle n'est pas dépendante. La connaissance n'est pas dépendante de son objet. Quel que soit l'objet, elle sera connaissance et s'il y a une absence d'objet, il y aura connaissance d'une absence d'objet. Il n'y aura jamais une non-connaissance à l'esprit. C'est cela qu'on veut dire par clair. Tout est clair : même l'obscur, le coma. Il n'y aura jamais un espace sans connaissance en l'esprit même.

Et vacuité, c'est synonyme d'espace. Ce n'est pas du vide, ce n'est pas du néant, on ne peut pas y mettre un mot, simplement. L'espace est vacuité, on ne peut pas trouvé d'entité à l'espace, c'est indéfinissable. Et pourtant, s'il n'y avait pas d'espace, on ne pourrait pas mettre des meubles dans l'espace d'une pièce. Donc ce n'est pas du néant. Vacuité, ça veut dire qu'il n'y a pas d'entité, il n'y a pas un soi. Comme l'espace du vase, il n'y a pas un espace " en soi " du vase. Il y a de l'espace, dans le vase. Il y a bien de l'espace mais il n'est pas en soi celui du vase. L' "en soi". Quand on dit vacuité, c'est vide d'un "en soi". Il y a bien un arbre mais il n'y a pas un arbre en soi. Il y a bien un individu, une personne, mais il n'y a pas un individu en soi. Le "en soi" voudrait dire qu'on pourrait lui donner une caractéristique définie, permanente, " moi, je suis une femme parce que j'ai un corps sexué ", " moi je suis un homme ", " je suis noir ", " je suis blanc " etc. Ce sont des caractéristiques relatives. Elles ne sont pas fausses mais elles limitent l'espace qu'est l'esprit à son petit vase. L'esprit est vide de ce soi absolu. Il y a bien de l'esprit mais il est vide de soi. Et quand on dissipe l'ignorance, on laisse la simplicité de ces trois natures, connaissance, clarté, vacuité. Saraha parlait de spontanéité, de simplicité. On est connaissance claire vide de soi.

Ensuite ...

 

Pour le bien de tous les êtres.

 

Une aspiration doit être accompagnée d'une motivation. Pour qui, pour quoi aspirons-nous à l'éveil ? Notre motivation ne se restreint pas à notre bien personnel. Elle s'engage au bien de tous les êtres sans exception. L'amplitude de notre motivation entraîne une idée plus haute de l'éveil. La motivation crée le fruit.

Nous adoptons la motivation altruiste qu'ont adopté les bouddhas du passé. La motivation altruiste amène au plein accomplissement de Bouddha. Quand ils s'éveillent, et parce qu'ils ont décidé de s'éveiller pour le bien des êtres, au moment où ils réalisent la vacuité s'exprime alors la grande compassion inconditionnelle de Bouddha.

Ils réalisent réellement le bien des êtres.

C'est un peu difficile à comprendre parce qu'on pourrait se dire que depuis des temps sans commencement, il y a eu de nombreux bouddhas qui se sont éveillés et que ça n'a pas beaucoup aidé les êtres. Mais cette aide justement, ne va pas concerner notre petit moi. Quand un individu s'éveille à cette réalité, il participe au tathagathagarba, c'est-à-dire à notre potentiel. Il donne un exemple, " voyez ça existe ! vous pouvez le faire vous aussi ! ". Et c'est déjà une aide. Et en même temps il participe à un niveau plus subtil, c'est l'omniprésence de la compassion. Par la réalisation de son éveil, il participe en quelque sorte à être toujours en filiation avec cet éveil, c'est-à-dire qu'on est toujours relié (religere).

Cette qualité d'omniprésence fait qu'elle reste disponible à chacun. C'est une qualité "d'omnibus" à qui veut bien s'asseoir à l'arrêt de bus.

Après cela, la qualité d'omnipotence définit la puissance et la profondeur des moyens habiles de cette compassion

 

e) Conclusion

Quand vous vous avez bien pénétrez l'exercice, ressentez votre corps léger lumineux et votre esprit lucide sans aucune conception. Restez autant que vous le pouvez.

Si vous devez arrêtez là l'exercice dans ce cas finissez par la dédicace.