Les quatre vérités des nobles
par Lama Shérab Namdreul
Le Bouddha de Sarnath, Ve siècle. Musée de Sarnath
Quarante neuf jours après son Éveil, le Bouddha Shakyamouni
exposa le fondement de son enseignement sur quatre affirmations que l’on nomme
les “quatre vérités des nobles” (sct. catvāri āryasatyāni). Cet enseignement, donné à
Sarnath près de Bénarès en Inde, fait
partie du premier des trois cycles[2]
d’enseignements appelé la mise en mouvement de la roue du dharma
(sct. Dharmacakra Pravartana Sūtra).
a) La vérité de la souffrance
b)
La vérité de la cause de la souffrance
c)
La vérité de la cessation de la souffrance
d)
La vérité du chemin vers cette cessation
Ces quatre nobles vérités (sct. satya)
est une synthèse concise de toute la philosophie bouddhique que renferme les
Trois Corbeilles[3] (sct.
Tripitaka) du Bouddha-dharma. L’avantage d’une synthèse concise est de définir
une base consensuelle entre les différents courants bouddhistes, cependant cela
n’empêche pas d’avoir différents commentaires, non pas divergents, mais
plutôt nuancés selon le véhicule (sct.
yana) et la vue auxquels on se réfère. Toute la richesse d’une voie
philosophique est d’avoir la liberté de commenter, voire interpréter, au regard
de sa compréhension ou de son expérience personnelle et sans que cela soit réservée
à une élite théocrate. Un enseignement qui, au sens littéral de bouddhique,
propose de se libérer de l’ignorance et de s’émanciper du mal-être ne peut pas
être réduit à un prêche et ne peut pas être laissé à la croyance et à la
superstition. Le Bouddha Shakyamouni n’a fait que proposer à notre étude, à
notre réflexion et à notre méditation, des éléments qui, au regard de sa
réalisation, lui paraissait nécessaires à notre propre Éveil.
Vérité
Le terme “vérité” peut être quelque
peu litigieux et susciter quelques polémiques. Il ne s’agit pas d’une vérité
absolue et indiscutable prêchée au nom d’une transcendance et à laquelle il
nous est demandé d’obéir. Ici, il faut prendre ce terme “vérité” au sens de “ce
qui a été vérifié” et si cela a été vérifié c’est donc qu’au préalable cela ait
été envisagé comme “vérifiable”. Quand le
Bouddha Shakyamouni parle de vérité, il prétend
qu’il a vérifié ce qu’il dit et il ne nous demande pas d’adhérer à sa vérité et
de simplement le croire et surtout pas de lui obéir. Tout au contraire, il prétend également que ces dires sont
vérifiables et nous invite à vérifier à notre tour. Par prétendre cela induit un courage et un partage des responsabilités.
Qu’importe si le Bouddha Shakyamouni se soit éveillé ou pas. C’est de sa
responsabilité. Par contre, si nous prétendons à l’Éveil, c’est de notre
responsabilité de savoir ce qu’il reste à faire de l’enseignement qui nous a
été proposé.
L’enseignement du Bouddha
Shakyamouni s’établit dans une démarche spirituelle strictement philosophique
et donc expérientielle au même titre que les philosophies de notre Grèce
antique. Contrairement à un système religieux, Shakyamouni ne suggère pas une
foi préalable. Le Bouddha Shakyamouni nous invite à douter parce qu’il n’est
pas nécessaire de croire en lui. Dans une voie d’Éveil, il n’y a pas lieu de
s’inquiéter si le doute vient à l’esprit. Vous ne serez pas traité d’impie ;
enfin, je l’espère. Le doute invite à questionner les instructeurs puis de réfléchir
à leurs réponses. Vous ne comprenez pas ? Continuer d’interroger les
instructeurs. Ensuite vérifier ; ce
qui suppose s’appliquer à ce qu’on appelle la méditation. Doute et
incompréhension sont des facteurs d’intelligence. Il faut en user à bon
escient. Si l’on se refuse le doute et l’incompréhension on risque de se
complaire dans la croyance avec toutes ses pathologies.
Maintenant, pour pouvoir
vérifier un enseignement, il est important d’avoir les éléments nécessaires à
cette vérification. Pour cela, le Bouddha Shakyamouni préconise trois
entraînements : écoute, réflexion et méditation en y ajoutant les quatre
sceaux du Dharma[4] et
les quatre garanties[5]
pour cette vérification.
Par l’écoute correcte, on se
garantit de bien se référer au sens et non pas aux mots seuls. On ne peut pas
se contenter d’une réponse vague. Par exemple pour le mot Dharmakaya. Ne vous
laisser pas séduire avec une définition impressionnante mais stérile du genre
« corps de la loi, corps ultime, que seuls les êtres éveillés peuvent
percevoir ». Vous voilà bien avancé pour
pouvoir vérifier. Tout le Bouddha-Dharma enseigne la nature de l’esprit et
décrit son fonctionnement cognitif avec ses aptitudes. Le mot Dharmakaya
n’échappe à la règle. Exiger un sens qui instruit sur la nature de l’esprit
dans son fonctionnement et ses aptitudes. C’est la seule chose que nous
puissions vérifier et c’est à cela que le Bouddha Shakyamouni s’est éveillé.
Si l’on ne dispose du sens
exact d’un mot ou d’un concept, il ne nous est pas possible d’y réfléchir pour
le vérifier par l’expérience en contemplant la nature de notre esprit. Alors,
on ne peut plus prétendre être engagé dans une voie d’éveil. On se laisse
plutôt porter sur la voie confortable de la croyance.
Noble et vérité
Le terme “noble” (sct. arya) n’est
pas adjectif qualificatif de vérité. Il est adjectif référent à la Voie que constituent
ces quatre vérités. “Vérités” dans le sens où leur affirmation est basée sur des
expériences qu’il est possible de faire à notre tour en s'appliquant à
l’écoute, la réflexion et la méditation. “Noble” dans le sens où la Voie que
suggèrent ces quatre vérités conduit à l’Éveil des Arya Bodhisattvas et des
Bouddhas qu’est la réalisation de la noble nature de l’esprit et la libération
de la souffrance.
Ces
quatre vérités ont été enseignées dans un ordre cohérent à la progression du
chemin vers l’Éveil.
I. La vérité de
la souffrance
Avant
d’envisager de se soigner et de suivre un traitement médical il faut bien au
préalable se rendre compte de son mauvais état de santé. De même, avant
d’aspirer à l’Éveil et de s’appliquer à une pratique, il est indispensable d’en
ressentir la nécessité. C’est pour cela que nous méditons en premier sur la
vérité de la souffrance (sct. doukkha). Le Bouddha Shakyamouni nous suggère de
constater la souffrance.
Il
existe plusieurs manières d’exposer les différents types de souffrance. Ici,
nous allons les énumérer globalement.
La souffrance en rapport au fait d'exister (naissance)
La souffrance en rapport à la maladie
La souffrance en rapport à la vieillesse
La souffrance en rapport à la mort
Souffrance d’être séparé de
ce que l'on aime
Souffrance
d’être
uni à ce que l'on n'aime pas
La souffrance due à la saisie aux cinq
agrégats
Tous
les êtres vivants, sans exception, cherchent à connaître le bonheur et à éviter
la souffrance. Que ce soit le plus petit insecte ou l’homme le plus puissant du
monde, les êtres ont tous ce même souhait : être heureux. Nous avons bien des
expériences de plaisir et nous en tirons des satisfactions mais cela est dû à
une réunion de causes et circonstances et aux fluctuations de nos propres
humeurs. C’est pour cela que c’est impermanent, précaire et instable.
Nous devons
juste constater ou reconnaître nos insatisfactions, nos tourments et toutes nos
contrariétés existentielles[6] (sct.
doukha). Ce constat n’est pas fait pour nous rabaisser dans le défaitisme et le
fatalisme. Ce constat est l’antidote à l’espoir/crainte. L’espoir/crainte n’est
ni l’espoir ni la crainte, ces deux facteurs ayant leur propre vertu.
L’espoir/crainte est un sournois mélange d’autopersuasion, d’auto-tromperie pour
se contenter de compen-sations palliatives.
Il
est important de constater nos doukhas parce qu’ils sont des informations
significatives de la même manière qu’une douleur à une dent nous informe d’une
carie. Sans cette douleur nous ne pourrions pas imaginer une carie. L’erreur
serait de faire un déni de nos contrariétés existentielles ou de se contenter
de prendre de l’aspirine en se persuadant qu’il n’y a pas de carie. Au même
titre que le processus biologique, qui nous fait ressentir une douleur comme
celle d’une dent cariée, peut être considéré comme une bienfaisance
physiologique, le processus cognitif qui nous fait ressentir nos contrariétés
existentielles participe de la bienfaisance inhérente à la nature de l’esprit.
La
présence de doukha témoigne de notre inefficacité et de notre manque
d’intelligence au bonheur. Tant que l’on espère un bien-être
sans remettre en cause les illusions qui conditionnent notre existence, toutes
nos démarches de bonheur sont tôt ou tard vouées à l’échec.
Le
constat factuel de nos contrariétés existentielles est donc une question de
lucidité et nous invite à une véritable analyse qui permettra de faire naître
une ferme résolution (sct. samkalpa) sans laquelle il n’est pas possible
d'emprunter efficacement un chemin d’émancipation et d’éveil.
On
pourrait penser, qu’en énonçant la souffrance comme la première vérité, le
Bouddha Shakyamouni ait commencé par la mauvaise nouvelle. On pourrait
également raisonner à l’inverse. Ainsi, la bonne nouvelle de cette première
vérité c’est qu’on dispose suffisamment d’information pour tirer les
enseignements de nos insatisfactions existentielles. Ce n’est pas une vue
masochiste pour pénitent victimaire si elle nous amène à réagir intelligemment,
c’est-à-dire en choisissant de traiter les causes et non pas de contenter de
soulager les symptômes.
Cette première vérité désigne ce qu’il faut constater
II. La vérité des
causes de la souffrance
Pour
un enseignement consensuel de cette vérité on peut s’en tenir à désigner la
soif comme la cause immédiate de doukha. C’est un fait pathologique indéniable.
S’il y a soif il y aura doukha, de sorte que s’il y a extinction de la soif
(sct. nirvana) il y a cessation de doukha.
Dans
une perspective plus large de l’Éveil, où l’on nuance les réalisations en
fonction des aspirations et de la vue des individus, on peut désigner un
échelonnement de causes à la souffrance.
1) À la base toute, l’absence
de réalité (vacuité) des phénomènes et de l’esprit, où ignorance et gnose sont,
de fait de leur vacuité, co-émergente. Ce qui est qualifié par « sahaja réel » de la nature « vajrasattva ».
2) Par inadvertance de chaque
instant, cette vacuité prend fonction d’annihilation engendrant l’ignorance.
3) Procède alors la soif délibérant
d’un espoir/crainte et apposant un sens qui ne sert que sa propre justification
et permettant d’ignorer notre ignorance. De cette soif procède la saisie
réductrice et le devenir conditionnée d’illusions et de distorsions (sct.
kléshas).
Dans
le Dhammacakkappavattana Sutta, il est fait mention de trois types de soif.
« La soif en les six facultés sensorielles,
la soif d'existence et la soif de non-existence. Mais quel est le terreau de cette
soif qui lui permet d'apparaître et de s'épanouir ? Partout où il y a une
apparence de plaisir et de satisfaction, c'est là qu'elle surgit et prospère. »
Là
aussi on pourrait se poser la question si cette deuxième vérité est une bonne
ou une mauvaise nouvelle. En fait, c’est une bonne et une mauvaise nouvelle. La
bonne nouvelle c’est que Doukha n’est pas une fatalité puisque c’est l’effet
d’une cause et que l’on peut remédier et se libérer définitivement de cette
cause. Doukha n’est pas le fait d’une rétribution, d’une punition ou d’une
malédiction. Doukha n’est pas dû au fait de vivre ou d’être incarné, né humain
sur terre. Doukha est le symptôme de la soif.
C’est
vrai que dans ce soutra on peut lire ; la mort est doukha, la maladie est
doukha, la vieillesse est doukha. Çà fait très fataliste. Pour être franc, je
n’ai pas eu l’occasion de lire le texte original en sanscrit ni en tibétain. La
deuxième vérité fait toute la nuance. En fait, il faut comprendre que s’il y a
doukha à propos de la mort, de la maladie, de la vieillesse, c’est qu’on est
illusionné par la soif.
Voilà
pour la bonne nouvelle. Maintenant, la mauvaise nouvelle c’est que la cause de
doukha que l’on nomme la soif est un fonctionnement complètement conditionné
d’illusion et que par nature, une illusion ne se montre pas comme telle à la
conscience. Il est alors difficile d’abord de bien comprendre ce concept de
soif et ensuite de l’identifier dans les manœuvres et les manigances de notre
esprit illusionné. Cela aurait été plus facile que la cause de doukha soit
l’incarnation ou bien l’existence humaine. En étant “jusqu’au-bouddhiste”, il aurait
suffit de prescrire des contraceptifs à toute l’humanité et d’exterminer le
monde animal et, pourquoi pas, de polluer radicalement notre planète pour qu’aucune
vie y soit possible. Bien cela soit en train de se faire, ce ne sera pas la
solution pour se libérer de la soif et de doukha.
En
fait, doukha est un phénomène d’expérience conditionné et n’a donc pas
d’existence propre. De plus, doukha est vide de caractéristique propre (tib.
tsèn nyi). Cela n’empêche pas que doukha soit effectivement éprouvé et il ne
s’agit donc pas de conclure bêtement que la souffrance est une illusion. La
vacuité de doukha veut dire que doukha n’est pas appréhensible en soi. C’est
notre saisie erronée et notre soif discriminante qui l’appréhendent comme une
altérité. Doukha est, comme tout autre phénomène, conçu selon des causes et
circonstances relatives et donc vide d’altérité. Cette vacuité rajoute finalement
au mal être existentiel parce qu’en saisissant une caractéristique propre en
doukha nous concevons un bonheur en soi dont les caractéristiques seraient aux
antipodes à celles que l’on prête à doukha. C’est encore la soif qui nous
incite à établir une réalité en doukha pour suscite un espoir en une réalité
d’un bonheur. Ceci limite notre analyse à une discrimination “manichéenne” qui,
finalement, nous amène à traiter constamment le symptôme par antidote au lieu
de se libérer de nos illusions et de la soif. La soif nous condamne à un combat
entre rejeter toutes insatisfactions et rechercher que satisfactions[7].
On
est constamment en recherche d’un bonheur en soi alors qu’il s’agit de
rechercher la lucidité de nos concepts. Doukha est une manifestation
symptomatique qui atteste une condition existentielle souillée par l’illusion[8]. Il
s’agit donc de se libérer des conditions qui causent doukha : la saisie,
la soif et l’ignorance.
La soif en les six facultés sensorielles.
Depuis
des temps sans commencement, nous attribuons une réalité là où il n’y en a pas
et nous ignorons cet état de fait. La soif maintient une tension pour une quête
erratique de bonheur, de sens, d’un vrai moi, d’une instance supérieure etc.
Une quête dont les jalons sont fixés par la soif elle-même.
Plaisirs
et déplaisirs sont des expériences[9] qui
s’élèvent au contact (tib. rèk pa) des six facultés sensorielles lesquelles
s’aspectent (tib. nam) à la gnose (tib. shé) donnant un moment de conscience
aspective (tib. nam shé).
Alors
que plaisir et bien-être devraient servir de baromètres à notre Intelligence,
la soif s’empare des plaisirs pour trouver satisfaction et projette le bonheur
comme une finalité. L’expérience de satisfaction donne l’illusion que le
plaisir fait (faction) satiété (satis) à la soif. Ce à quoi l’esprit illusionné
agrée, percevant cela comme “extinction de la soif”. Ainsi se crée l’attachement qui impute au plaisir la tâche de donner satisfaction et
compensation. Cet attachement devient aliénation et finalement ne profite pas
du plaisir pour en jouir en toute intelligence.
On peut compter
sur doukha pour nous montrer
que l’on n’est
pas libéré de la soif.
Dans
notre soif de bonheur nous allons au plus évident et nous sommes semblables au
moustique stupide qui se jette sur la flamme d’une bougie. “Moi-je veux être
heureux et éviter la souffrance” et à partir de ce point de vue égocentrique
nous entrons en relation avec tout le “reste”, le monde et les autres. Les
seuls outils de communication dont on dispose sont alors nos distorsions
émotionnelles[10]
(sct. kléchas). À partir de la polarisation, qu'implique la saisie d'une
entité-ego, nous établissons des négociations, des accommodements ou des
stratégies de toutes sortes pour tenter de satisfaire cette incoercible soif de
bonheur. Nos plaisirs ne peuvent pas être juste goûtés. Ils sont l’otage de la
soif pour nous procurer satisfaction.
Les kléshas
ne peuvent pas satisfaire cette soif de bonheur. Bien au contraire, nous allons
toujours plus profondément dans l'insatisfaction et la douleur en accumulant
toujours plus de tendances et d'impulsions. Les kléshas ne fonctionnent pas en
toute intelligence parce que l’Intellect est trop préoccupé et confus.
La
cause de doukha est fondamentalement la croyance en une entité en les
phénomènes et l’esprit. De là viennent les causes secondaires que sont les
émotions perturbatrices (sct ; klésha) et les contaminations dans l’activité
(sct. karma) naturelle des cinq agrégats.
Pour
certains, les kléshas sous-tendent l'idée de faute, et leur conception du
renoncement induit à l'esprit une attitude de redresseur de faute. Ce qui peut
aller jusqu'à un comportement rigide, fanatique et dogmatique pour soi-même et
pour les autres. Les kléshas procèdent d’un fonctionnement erroné de l’esprit
et l’erreur participe du processus d’apprentissage pour peu que l’on considère
l’inefficacité des kléshas et l’insatisfaction (doukha) qu’ils produisent. On
peut considérer doukha comme un “bug” dû au dysfonctionnement d'une application
de nos processus cognitifs (les agrégats), mais
sans le “bug” nous ne serions pas informer d’un dysfonctionnement.
Les
kléshas sont une méprise de l'esprit saisissant une entité en sa personne et
une maladresse dans ce projet au bonheur. Par cette compréhension, il est plus
facile d’envisager le pardon, la bienveillance, la compréhension et la sagesse.
Nos
kléshas sont pour l'instant le seul moyen dont nous disposons pour émettre ou
recevoir. Cependant la perception de la réalité est erronée. On établit un
rapport de projections et d’introjections. Dans le terme sanscrit kléscha (tib.
nyeun mong), il y a à la fois une idée de distorsion et une idée de
perturbation. Nous ne sommes pas simples et la dynamique émotionnelle n'aide
pas à la limpidité et à la quiétude.
Il ne
s'agit pas non plus de vouloir renoncer au bonheur. Bien au contraire, et ce
que l'on appelle “prendre refuge dans le Bouddha” peut être considéré comme une
sublimation de la soif vers le bonheur. Renoncer au bonheur serait une
résignation et une démobilisation inconsciente qui finirait par déboucher sur
un spiritualisme morbide. Cependant, le bonheur ne doit pas être pris comme une
réalité propre que l’on prendrait comme une finalité suffisante. Le bonheur
doit être considéré comme un symptôme, l’effet d’une succession de causes
vertueuse à la lucidité.
On ne
renonce pas au bonheur comme critère d’intelligence. On ne renonce pas aux
plaisirs tout fugaces qu’ils sont. On ne renonce pas non plus aux satisfactions
si elles ont lieu d’être éprouvées. On renonce – et c'est là une résolution qui
engage toute sa responsabilité – à l'illusion, la saisie, la soif et
l’ignorance.
Il est
important, dans le concept de cette première soif, de ne pas mettre en cause le
plaisir lui-même et d’y apporter un jugement moralisateur en confondant
inhibition et vertu. On renonce à l’illusion et à la soif mais on ne renonce
pas au plaisir. L’esprit ne peut échapper à l’expérience qui est un continuum
fluctuant de plaisir/déplaisir. Une fois qu’on est libéré de cette première
soif, rien n’empêche d’avoir ce continuum expériences de plaisir/déplaisir et
il ne sera pas souillé par les tentatives désespérées de la soif en les
facultés sensorielles.
La soif d’existence et de non-existence.
La
soif en les facultés sensorielles est une soif périphérique. Les soifs
d’existence et de non-existence agissent plus en secret dans les rouages de
notre conscience. La soif d’existence tente de trouver de l’Être en soi, un soi
absolu. À l’inverse, la soif de non-existence est le comble du “désespoir
espérant trouver” la paix par le néant, le non-être, le non soi absolu.
Cela se traduit, par exemple, en espérant que la mort existe en tant que telle,
c’est-à-dire qu’elle aurait le pouvoir d’anéantissement absolu.
Cette deuxième vérité est ce à quoi il faut renoncer
III. La vérité de la cessation de la souffrance
Cette
vérité affirme que la cause qui produit la cessation de la souffrance est l’extinction
de la soif qui en sanscrit se dit « nirvana ». Ce nirvana est
également une base consensuelle à tous les courants de pensées bouddhiques.
Cette notion d’un lien de cause à effet entre l’extinction d’un fonctionnement
cognitif illusoire et l’expérience de cessation d’un mal-être se retrouve dans
les concepts d’ataraxie[11], d’épochè[12] et de catharsis[13].
Cette
troisième vérité affirme que la qualité innée de notre esprit est bienheureuse,
paisible, libre, pure etc… Depuis des temps sans commencement la nature de
l’esprit est une santé bienfaisante. Cette nature primordiale est pour
l’instant recouverte des quatre voiles.
Quand on
dénonce la souffrance, on n'incrimine aucun objet ni aucune condition extérieure.
On pourrait même le regretter. Ce serait si facile. Il aurait suffi au Bouddha
de désigner un responsable objectif de Doukha. Il aurait dit : c'est le corps,
c'est l'argent, c'est le sexe, c'est l'autre, c’est la vie, c’est la mort,
c’est la vieillesse etc… Malheureusement, la cause de Doukha est d’ordre
cognitif.
Ce qui est
donc mis en cause c'est la méprise dans laquelle se trouve l'esprit. La méprise
de la saisie en une entité[14], la méprise de la soif
qui assigne une justification de cette saisie et la méprise fondamentale qui
est d’ignorer la nature même de l’esprit et des phénomènes cognitifs. C'est
donc en allant au-delà de la méprise que se provoque l’extinction de la soif,
le nirvana, qui établit cette paix dénuée de doukkha.
Je parlais
tout à l’heure de base consensuelle. Ainsi, il est admis par tous entre les
courants bouddhiques que l’extinction de la soif (nirvana) entraîne la
cessation de la souffrance (doukha). Que l’on soit qualifié d’arhat, de
bodhisattva ou de bouddha, s’il y a cessation de la soif il y a extinction de
doukkha. Maintenant, les différents consistent à considérer le nirvana comme le
fruit ultime, nécessaire et suffisant, ou pas. Pour certains, le nirvana n’est
pas le fruit ultime et donc il n’est pas suffisant mais, en plus, il peut être
considéré comme non nécessaire. Seule la gnose, la fin de l’ignorance, est
considérée comme le fruit ultime et dont la conséquence est de recouvrer la
bienfaisance (sct. mahakaruna) et surtout l’effiscience[15] (sct. upaya) c’est-à-dire
la connaissance des effets qui peuvent aider les êtres à s’émanciper de leurs
illusions.
Cette troisième vérité est ce à quoi il faut aspirer
IV. La vérité du
chemin vers cette cessation
Ce
qui fait la qualité immense et précieuse de l’existence humaine c’est la
possibilité de se rendre compte que nos insatisfactions proviennent de la
nature éphémère de notre existence et de notre mortalité. Réaliser la vanité de
nos satisfactions et compensations génère en l’individu une aspiration
spirituelle qui fera que son existence prenne tout son sens.
Cette
aspiration personnelle peut prendre toutes sortes de formes et de chemins, mais
quoi qu’il en soit, cette aspiration ne devrait jamais se départir de la bonne
volonté, de l’honnêteté, de la simplicité, du bon sens, de l’humour… finalement
de toutes les qualités élémentaires qui rendent l’être humain digne de ce nom.
Appréhendé de cette façon, notre cheminement spirituel nous fera développer
progressivement des vertus comme la compréhension de l’autre, l’empathie, la
tolérance, l’indulgence, le pardon…
L’octuple chemin
Le
bouddha Shakyamouni présente ce chemin vers la cessation en huit membres (sct.
angas) ce qui fait qu’il est appelé “l’octuple chemin” (sct. astangika-marga). Ces huit membres sont : 1) la vue juste, 2) la pensée juste, 3) la parole juste, 4) l’action
juste, 5) les moyens d’existence justes, 6) l’effort juste, 7) l’attention
juste et 8) la concentration juste.
Le sanscrit Samyak, qui préfixe chacun des huit
angas ou membres du Chemin, signifie « conforme, approprié, intégral,
complet ».
Chacun
des huit membres du chemin à l’Éveil se doit donc d’être “approprié” en
considération de l’erreur que la saisie, la soif et l’ignorance établissent sur
la nature véritable des phénomènes et de l’esprit.
Cet
octuple chemin peut se résumer en trois :
1. La sagesse qui regroupe
la vue juste et la pensée juste.
2. L’éthique avec la
parole juste, l’action juste et le mode de vie juste.
3. La méditation qui comprend
l'effort juste, l’attention juste et la méditation juste.
1. La sagesse qui
regroupe la vue juste et la résolution juste.
La
vue juste (sct.
samyak-dristi) consiste à avoir une conception précise de que
l’on considère comme étant l’Éveil. Elle permet donc de
disposer de l’intelligence nécessaire pour bien commencer le chemin qui mène à
l’Éveil. En s’appuyant sur une conception juste, la résolution juste (sct. samyak-samkalpa) permet de
corriger la trajectoire selon les compréhensions et les expériences
rencontrées.
1)
La vue juste
La
vue juste (sct.
samyak-dristi) consiste à prendre pour base
cette “justesse” qui peut se résumer par le tétralemme (sct ; catuṣkoṭi) : « ni existant ni non-existant, ni à la
fois existant et non-existant, ni différent à la fois de l’existence et de la
non-existence.
Pour résumer cette vue juste, c’est
la vue qui concilie réalité ultime et réalité relative. C’est la vue de la
vacuité en tous les phénomènes et en l’esprit tout en prenant compte la
production interdépendante qui régit toute manifestation.
C’est la vue du sahaja : « l’apparence
et vide co-émergent, la connaissance et vide co-émergent, au contact
d’apparence et connaissance toute expérience est félicité-vide ».
Le chemin octuple commence par la
vue parce que l’on doit savoir en quoi consiste l’Éveil avant de prétendre y
aspirer. La vue juste est en quelque sorte notre cap qu’il ne faut pas perdre
de vue jusqu’à l’Éveil. C’est en cela que juste (sct. samyak) a le triple sens
d’approprié, intégral et complet.
Dans le vajrayana, on parle de vue
pure, c’est-à-dire dénuée de discrimination, cette absence de discrimination
correspondant à
On peut diviser la vue en
trois : la vue de la base, la vue du chemin et la vue du fruit.
Dans mon approche du Sahaja, je
commente les trois vues pures ainsi :
La Vue Pure de la Base.
La conscience toute ordinaire est
depuis des temps sans commencement dénuée de production et cependant elle jouit
de la plénitude des aspects qui est l’expression de la vacuité d’altérité.
La vue pure de la Base constitue la
sagesse de la compréhension.
La Vue Pure du
Chemin :
Laisser aux apparences le seul sens
d’apparaître. Laisser à l’esprit le seul sens de savoir.
La vue pure du chemin accumule la
sagesse de l’expérience.
La Vue Pure du
Fruit :
Voir ce qui ne peut être vu en la
sphère de ce qui ne peut voir.
La vue pure du fruit constitue la
sagesse de la réalisation.
Éternalisme et nihilisme
Par
“juste” on peut également entendre libre des deux vues extrêmes que l'on nomme
habituellement ; éternalisme et nihilisme.
L'éternalisme
est une vue de l’esprit qui attribue une existence intrinsèque aux phénomènes
et à l’esprit. Cette vue éternaliste se retrouve aussi dans les croyances en
l’existence d’une entité transcendante qui échapperait à toute relativité.
Le
nihilisme est une vue de l’esprit qui affirme l’absence totale d’existence.
C’est en quelque sorte une intuition malencontreuse considérant la vacuité
comme synonyme de néant et de vanité. Cet état d'esprit ne reconnaît aucune
nécessité dans les phénomènes comme dans les consciences. Le nihilisme traduit
un matérialisme extrême.
Plus
que des dogmes, ces deux extrêmes représentent des constitutions psychologiques
décelables en chacun de nous dans notre relation au monde, aux autres et
soi-même.
Dans
le sens où il est dénué des deux extrémismes, le Dharma prend alors figure
“d'enseignement du milieu” en avançant conjointement deux réalités. La
relativité et la vacuité. Il y a une réalité relative du monde objectif et du
monde subjectif, à travers les apparences et les consciences, lesquels sont
vides d'entité réelle.
À
chaque moment-conscience nous nous percevons comme une “entité-même” (ego)
permanente tandis que nous saisissons une altérité dans les apparences. Ce mode
de perception est une méprise de notre esprit. Nous ne reconnaissons pas la
réalité relative connaissance-objet et sa production interdépendante. Nous n'en
reconnaissons pas le vide d'entité et d'altérité. Relativité et vacuité ne sont
pas deux choses. Ce sont deux termes d'une synergie d'apparences et de
connaissances qui excluent de fait un néant stérile ou une éternité figée.
Ce
qui est appelé le Dharma du Bouddha est un enseignement qui expose un chemin
sans se départir de l'indissociabilité de ces deux réalités.
Aussi,
pour savoir si un enseignement relève du Saint Dharma nous devons exiger de son
énoncé que le sens réponde pour ainsi dire à un label que l'on appelle “les
quatre sceaux” :
1)
Tous les phénomènes composés sont transitoires.
2)
Tous les phénomènes souillés (par la saisie d’entité) sont souffrances.
3)
Tous les phénomènes sont vides d'entité (soi).
4)
L'au-delà de la souffrance est paix.
Il ne
suffit donc pas qu'un enseignement comporte les mots “bouddha”, “karma” etc…
pour le qualifier de bouddhique. Ces quatre sceaux préservent l'enseignement
des deux vues extrêmes (éternalisme et nihilisme, existant et non-existant).
2)
La résolution juste
Tandis que la vue juste permet de bien commencer le chemin, la
résolution juste (sct. samyak-samkalpa) permet de
poursuivre le chemin jusqu’à l’Éveil malgré les difficultés et les erreurs
rencontrées. Cette résolution prend appui sur le renoncement à l’égard de
l’illusion et sur l’aspiration à l’Éveil.
Le renoncement à l’illusion crée la nécessité. Ce renoncement est une
force qui nous fait tourner le dos à tout ce qui est non-vertueux à
l’Éveil : la saisie, la soif et l’ignorance. Cette force est générée par
les prises de conscience que l’on réalise tout particulièrement par les
méditations des quatre idées fondamentales[16]. Cette nécessité qu’impulse le
renoncement donne une vigueur à notre aspiration à l’Éveil, autrement dit, à la
désillusion.
L’aspiration doit avoir la force de s’appliquer, en toute circonstance,
à ce qui est vertueux à l’Éveil, comme les trois entraînements[17]. C’est une aspiration
conséquente et non pas une simple velléité[18] qui vacille à la moindre
contrariété ou susceptibilité.
La résolution sous entend donc une force de la volonté qui nous permet
de se donner les moyens pour parcourir ce chemin vers l’Éveil et d’avoir la
capacité de faire d’une erreur un apprentissage.
2. L’éthique avec la parole juste,
l’action juste et les moyens d’existence juste.
Avec la sagesse, nous avons établit le cap précis de notre
cheminement avec une ferme résolution à l’atteindre. Maintenant, parcourir un
chemin nécessite une conduite éthique en accord avec la vue juste. En résumé,
l’éthique (sct. Śīla) consiste à
être attentif sur nos intentions pour voir et contrecarrer toute justification de nuire à quelqu'un.
L’éthique en elle-même n’éveille pas mais elle apporte les
conditions morales favorables à la quiétude mentale et ainsi à la lucidité puis
à la sagesse. L’Éthique permet d’être conforme (sct. samyak) à la bienfaisance (sct.
mahakaruna) naturelle de l’esprit.
Nos
intentions sont souvent impulsives et confuses. Impulsives au sens où elles
répondent à une recherche de satisfactions immédiates et confuses parce que ce
qui semble être une intention se compose d’une multicouche d’intentions annexes
plus ou moins inavouées ou inavouables.
Le sanscrit Śīla que l’on traduit par éthique a le sens de
rafraîchir dans le sens où l’attention éthique apporte une vision claire sur
nos intentions. Elles n’auront pas de zone d’ombre et se présenterons sans
d’arrière pensée. C’est la fraîcheur de la spontanéité qui peut être libérée
car nos intentions ne s’octroient aucune justification de nuire à quelqu’un.
1)
La parole juste
La parole juste
(sct. samyak-vaca) comporte
1.
ne pas mentir ;
2. ne pas semer la discorde ou la
désunion ;
3. ne pas tenir un langage grossier,
ne pas bavarder oisivement.
2)
L’action juste
L’action juste
(sct. samyak-karmānta) comporte cinq préceptes de base.
1.
s’abstenir d’ôter la vie ;
2.
s’abstenir de prendre ce qui
n’est pas donné ;
3.
s’abstenir de commettre des inconduites sexuelles (au détriment de l’autre ou contre
sa volonté)
4.
s’abstenir d’induire en
erreur ;
5.
s’abstenir de prendre des
substances pouvant altérer l'esprit (psychotrope, alcool...).
3)
Les moyens d’existence juste
Les moyens
d’existence (sct ; ājīva) renferment tout ce qui est nécessaire au maintien de
notre existence et les activités qui en découlent. Par exemple la nécessité
financière qui entraîne une vie professionnelle et les moyens de déplacements
qui en découlent. De même pour la nécessité alimentaire, la nécessité familiale,
sociale etc.
En résumé, nos
moyens d’existence juste (sct ; samyak-ājīva) ne doivent pas se
faire au détriment d’autrui.
3. La méditation qui comprend
l'effort juste, l’attention juste et la méditation juste.
Ici, je vais juste reprendre des
extraits tirés du Samyuktâgamasûtra[19].
1.
L’effort juste
Aspirer à
l'encontre des mauvais Dharmas au profit des bons Dharmas.
C'est vouloir avec
persévérance les moyens de se libérer, c'est faire diligence et se montrer
capable d'endurance, c'est toujours progresser sans jamais reculer.
2.
L’attention juste
C'est
suivre les pensées, les contrôler et ne pas les laisser s'égarer.
3.
La méditation juste
C'est maintenir son esprit
dans le calme, le fixer solidement, le pacifier, le concentrer, l'unifier.
Cette quatrième vérité est ce qu’il faut appliquer
[1] Rappelons ici qu’au sens bouddhique, l’Éveil désigne la réalisation de la nature ultime des phénomènes et de l’esprit.
[2] Le premier cycle du Dharma aborde le thème des quatre vérités des êtres nobles et institue deux des quatre systèmes philosophiques : vaibhashika et sautrantika. Le second tour de roue est appelé le cycle sans caractéristique et institue un troisième système philosophique : madhyamika. Le troisième, le cycle insurpassable qui institue un quatrième système philosophique : yogacharya. Ces enseignements ont été transmis en fonction des aspirations, des aptitudes et des facultés des disciples.
[3] Le Vinaya, les Soutras et l’Abhidharma
[4] Les quatre sceaux du Dharma : 1) Tous
les phénomènes composés sont transitoires (sct. anitya, tib. mi tak pa). 2)
Tous les phénomènes souillés* sont souffrance
(sct. duḥkha). 3) Tous les
phénomènes sont sans substance (sct. anātman). 4) Le nirvāṇa est paix (sct.
śāntam).
* souillés
par l’ignorance, la soif et la saisie.
[5] Les quatre garanties : 1) S’en remettre au sens des mots et non pas aux mots seuls. 2) S’en remettre à l’enseignement proposé et non pas à l’enseignant seul. 3) S’en remettre à l’expérience et non pas à la croyance seule. 4) À toute expérience, s’en remettre à la vue de la vacuité.
[6] Parmi les différentes
traductions possibles pour doukkha, j’ai opté pour “contrariété existentielle”
dans le sens où notre aspiration au bien-être sera constamment contrariée tant
que l’on espère l’obtenir sans remettre en cause la soif et les illusions qui
conditionnent notre existence.
[7] C’est l’un des huit dharmas mondains : gain/perte ; satisfaction/insatisfaction ; approbation/désap-probation ; considération/inconsidération. Ce sont des préoccupations infructueuses et énergivores
[8] Le Bouddha enseigne que le samsara et le nirvana sont indifféremment vides de nature propre. Par contre, leurs conditions diffèrent. La condition relative au samsara est l’illusion et la condition relative au nirvana est la désillusion. Ces conditions se manifestent également différemment. La manifestation due à l’illusion est doukha (mal-être) et la manifestation due à la désillusion est soukha (bien-être).
[9] Ces expériences relèvent du processus cognitif que l’on nomme habituellement « agrégat sensation ».
[10] Les kléschas sont classés en six grandes familles : désir/attachement, répulsion/aversion, ignorance/opacité, avidité/obsession, inhibition/adversité et orgueil/polarisation.
Il est nécessaire de réfléchir à ce que l'on traduit par “émotions” car il ne s'agit pas de confondre avec les sentiments et au fait d’être ému. Une émotion (lat. exmovere) est une réaction. Or klésha est un vecteur mental qui impulse deux temps : un instant perceptif (intellectif) souillé et un instant ré-actif impactant le devenir subséquent. Ce deuxième temps est souvent traduit par “émotion perturbatrice” mais c’est sans tenir compte du premier temps qui lui relève d’une perception distordu. Aussi je préfère traduire klésha par “distorsion émotionnelle” ou bien “distorsion pathologique” qui est plus proche du tibétain “nyeun mong”, littéralement “tordu fou”.
Quand le vajrayana enseigne la co-émergence de klésha et sagesse, on fait allusion au premier temps parce qu’il ressort de l’Intellect lui-même qui opère une intelligence plus ou moins erronée et efficace. Ainsi : le désir co-émerge au discernement, la répulsion co-émerge à la clarté, l’ignorance co-émerge à la gnose, l’inibition co-émerge à l’opportunité et l’orgueil co-émerge à l’équitabilité.
[11] L'euthymie (du grec eu, bien, heureux et thymia, l'âme, le cœur) Démocrite conçoit l’euthymie comme une disposition idéale de l'humeur correspondant à une forme d'équanimité, d'affectivité calme et de constance relative des états d'âme.
[12] « La suspension est
l'état de la pensée où nous ne nions ni n'affirmons rien. Quiétude (arrepsia),
c'est la tranquillité et la sérénité de l'âme » (Sextus Empiricus, Hypotyposes
pyrrhoniennes, I, 10).
[13] Chez Platon, elle est le pouvoir de séparer l’âme de son ignorance.
[14] Par entité, il faut entendre une chose ou une essence qui échapperait à toute causalité. Or, rien de tel ne peut être trouvé.
[15] Effiscience : Néologisme de Lama Shérab signifiant “science des effets” pour traduire le sanscrit “upāya”, fruit spécifique de l’Éveil complet (sct. Samyaksaṃbouddha), au service des êtres. Cet “upāya” du fruit renvoie à l’activité (sct. karma, tib trin lés) des cinq Intelligences inhérentes à la nature de la gnose primordiale (tib. yéshé). Il y a d’autre part, dans le véhicule causal des paramitas (sct. paramitayana), le “upāya” du chemin (moyens appropriés) qui, à l’appui de la Prajna (tib. shérab), permet de combiner discernement et méthode pour actualiser la gnose primordiale.
[16] 1) La précieuse existence humaine ; 2) L’impermanence et la mort ; 3) La causalité mentale, le karma ; 4) La défectuosité d’une existence conditionnée par l’illusion, le samsara.
[17] L’écoute, la réflexion et la méditation.
[18] Il y a très loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l’application. — (Jean-François Paul de Gondi de Retz)
[19] J'invite les personnes intéressée par l'étude des soutras à visiter le site suivant : http://www.canonpali.org/tipitaka/suttapitaka/suttapitaka.html